Tout compte fait, la réunion-anniversaire de l'UGTA aura été profitable, dans un certain sens, à Sidi Saïd et Ahmed Ouyahia. Les deux hommes vivaient, en effet, une situation assez tendue dans leurs environnements politico-administratifs respectifs où ils avaient du mal à trouver leurs marques. En perte de vitesse ou de crédibilité, ils avaient besoin l'un et l'autre d'un soutien fort au moment où on les disait soumis à une sérieuse contestation. L'appel a été, visiblement, bien saisi par Bouteflika qui a tranché dans le vif en servant de couverture au premier et en se solidarisant avec le second. Le patron de la centrale syndicale était, faut-il le rappeler, en butte à une fronde interne qui dure depuis des mois, visant à remettre en cause le fonctionnement structurel de l'organisation, jugé trop permissif. Sidi Saïd avait (il a toujours) de plus en plus de difficulté à contenir les convulsions qui ont touché cette fois le haut niveau de la hiérarchie, et qui le ciblaient en tant que premier responsable de la faillite d'un mouvement syndical vidé de sa substance, dans lequel en tous cas de moins en moins de travailleurs se reconnaissent malgré les apparences. Quand ce sont plusieurs membres de la CEN qui affichent publiquement leur exaspération pour dénoncer la léthargie de l'UGTA, et que les syndicats d'entreprise montent, eux aussi, nombreux au créneau pour fustiger la déliquescence qui frappe la centrale, on ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un petit problème purement organique sur lequel le SG de l'UGTA n'a pas de souci à se faire. La réalité est bien plus amère pour lui. Elle sonne comme une violente prise de conscience collective pour une mobilisation tendant à éviter à l'organisation une plus grande dérive sachant qu'avec Sidi Saïd, celle-ci est devenue une simple caisse de résonance au service du pouvoir alors que par définition un syndicat, pour défendre les droits des travailleurs, doit être avant tout un... contre-pouvoir. Sous les sunlights du Palais des nations où elle fêtait son cinquantième anniversaire, l'UGTA donnait l'impression de bien se porter, et Sidi Saïd avait le sourire des grandes circonstances. Mais les travailleurs savent qu'entre les lumières d'un soir, les hommages chaleureux et les opportunismes de carrière, il y a une autre union à construire. Pour Ouyahia, la remise sur orbite par le Président est tout aussi salutaire à l'heure où le chef du gouvernement paraissait en décalage politique par rapport à son plus redoutable rival, en l'occurrence le patron du FLN qui n'a eu de cesse ces derniers temps de multiplier les offensives sous forme de phrases sibyllines et néanmoins assassines, pour déstabiliser son adversaire. Depuis la maladie de Bouteflika, Abdelaziz Belkhadem en tant que leader du parti majoritaire ainsi qu'il se plaît à le répéter, s'est senti comme en droit d'afficher un surcroît d'ambition dans les travées sinueuses du pouvoir. Il a visé spécialement le poste qu'occupe Ouyahia pour revendiquer un champ d'intervention plus large à son parti qui doit être dominant sur toute la ligne. Belkhadem, en prenant la révision de la Constitution comme cheval de bataille, espérait cette voie toute indiquée pour détrôner, dans la légalité la plus respectable, le Premier ministre. Devant le silence du Président et l'absence de réaction de Ouyahia, Belkhadem semblait conforté dans sa position et laissait même croire qu'il dominait la partie en contredisant de manière brutale son rival sur la question très sensible de la revalorisation des salaires. Mais au moment où tout le monde pensait qu'il avait le vent en poupe, voilà que l'arbitrage de Bouteflika tombe comme un couperet. C'est Ouyahia qui a les faveurs du Président, et du coup c'est une véritable réhabilitation politique qui est signée pour mettre fin « aux attitudes populistes et démagogiques » que l'ex-ministre des Affaires étrangères était supposé avoir. En quelques mots, tout bascule, et l'erreur serait de croire que le premier magistrat du pays a eu, ici, un simple geste de sagesse, magnanime, pour régler un conflit aux proportions insignifiantes. Entre Ouyahia, serviteur zélé du système et parfait régulateur des équilibres qui fondent le démocratisme à l'algérienne, et Belkhadem, dont le penchant islamo-conservateur n'est plus à démontrer, un choix stratégique a été opéré.