Crédité de seulement 6,6% des suffrages sur un total de plus d'un million d'électeurs inscrits, le parti de Belkhadem s'est offert 12 sièges, soit les deux tiers du quota réservé à la deuxième ville du pays. Abstention, fraude pour les uns, indifférence des autres, chiffres plats… Voici un décryptage des législatives du 10 mai dernier à Oran. D'abord, un chiffre impressionnant : 114 009 électeurs, soit un votant sur quatre, ont glissé un bulletin nul dans l'urne. Et seuls 2 Oranais sur 5 se sont rendus aux urnes. Une certitude : les partis islamistes ont subi une véritable débâcle. Une incertitude ? Quel sens donner aux chiffres officiels ? Certains partis rejettent de fond en comble les résultats. Il s'agit, entre autres, de Ahd 54, du PJ et du Parti des femmes et des jeunes et, bien sûr, tous ceux qui ont prôné le boycott. Pour eux, le FLN n'a pas gagné. Crédité de seulement 6,6% des suffrages sur un total de plus d'un million d'électeurs inscrits, le parti de Belkhadem s'est offert 12 sièges, soit les deux tiers du quota réservé à la deuxième ville du pays. Les parlementaires élus avec de tels scores ont-ils une légitimité pour bien représenter Oran ? «Le fort taux d'abstention montre, on ne peut plus clairement, que les citoyens ne croient plus aux élections et au système qui les organise», tranche Kadour Chouicha, responsable de la section d'Oran de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH). Ce fondateur du tout nouveau Syndicat des enseignants du supérieur solidaires (SESS, autonome, non agréé) décrypte «un fort message de rupture de confiance et de rejet du régime». «C'est une kermesse électorale dont le seul but est de briser la dynamique de la société civile», ironise, de son côté, Messaoud Babadji, membre de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Cet ex-responsable du RCD à Oran s'explique : «Organisées dans un contexte de verrouillage total du champ politique et médiatique, les dernières élections n'ont été conçues et orchestrées que pour permettre au régime de se régénérer.» Et de citer «les récents tours de vis liberticides ayant affecté la loi électorale, la loi sur les associations et le code de l'information» promulgués avant le scrutin. Pour lui, «organiser des élections alors que seuls les partis à la solde du pouvoir ont accès aux médias lourds n'augure de rien de démocratique». Le dépouillement a fait ressortir un nombre impressionnant de bulletins nuls. Plus de 100 000 ! «La majorité des votants est constituée de personnes âgées qui n'ont voté que pour, croient-ils, éviter les éventuelles tracasseries bureaucratiques liées à la délivrance ultérieure des documents administratifs», constate-t-il. «Le FLN a gagné, mais quel que soit le sigle du parti qui gagne, le but des élections est la préservation des intérêts liés à la rente», poursuit-il. «Rien n'a changé, car les vraies décisions ne sont prises ni par le FLN ni encore moins par le RND. C'est une démocratie de façade», dit-il. «Oran n'a pas été une exception. La tendance nationale a été respectée. Il n'y a pas eu redistribution des cartes, mais une mainmise sur les cartes. En l'absence de données fournies par des organismes indépendants, les résultats servis officiellement faussent toute analyse objective», analyse Saïd Oussad, journaliste à Liberté. Vote-refuge ? «Assurément non. Il n'y avait, tout simplement, pas eu de vote. Les dés ont été pipés en amont. Le taux de participation a été dopé. Il y a eu bourrage des urnes», répond ce journaliste. «La campagne électorale n'a intéressé personne», note-t-il. De son côté, le parti de Belkhadem crie haut et fort à la victoire. M. Hadjoudj, qui a conduit la liste FLN, rejette «toute idée de fraude» et parle plutôt d'«actes isolés de petites irrégularités qui ne pourront en rien changer le résultat du vote». Pour lui, «le scrutin a été honnête et crédible». Cet élu, qui vient de quitter son poste de président de l'APW, relativise le taux d'abstention : «Il y a eu une nette amélioration par rapport à 2007.» «De plus, l'abstention n'est pas l'apanage de l'Algérie», poursuit ce nouveau député ayant à son actif 36 ans de militantisme au FLN. «Même les grandes démocraties connaissent des élections marquées par de forts taux d'abstention», ajoute-t-il. Du côté du parti de Louisa Hanoune, le ton est aux grincements de dents. Et pour cause : Soraya Chabane, l'une des trois élus PT à Oran, préfère ne pas se laisser emporter par l'euphorie après son élection à la Chambre basse du Parlement. A 34 ans, cette journaliste et par ailleurs syndicaliste (FNJA-UGTA) affirme que son parti réclame un quatrième siège à Oran. «Nous avons déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel», dit-elle. «Le parti est bien implanté à Oran. Nous avons mené une campagne électorale très active. Nous avons organisé des meetings dans toutes les communes à travers lesquels pas moins de 90 000 prospectus résumant le programme du parti ont été distribués.» Cette femme, ayant 7 ans de militantisme au PT, avait intégré, il y a deux ans, le comité central du parti de Louisa Hanoune avant de se porter candidate aux législatives. Le credo qu'elle escompte assigner à son mandat : «Plaider en faveur de la liberté de la presse, l'amélioration des conditions d'exercice des journalistes et surtout défendre au mieux les droits des femmes en abrogeant le fameux code de la famille.» Un code consacré par le parti de Belkhadem en 1984 et légèrement amendé en 2005. Mais alors, à quand le changement ? Saïd Oussad se veut pessimiste : «Il n'y a pas d'alternative au statut quo actuel. Contrairement à ce qui se passe en Tunisie et en Egypte, l'Algérie ne dispose pas d'une élite efficace, autrement dit une forte société civile capable de constituer une alternative au système». «Il n'y a pas non plus de figures charismatiques susceptibles de rassembler les foules derrière un projet alternatif», tranche-t-il. «La solution passe par l'instauration de conditions préalables minimales, un minimum républicain qui se résume, notamment, en l'ouverture des médias lourds et une réelle indépendance de la justice pour pouvoir engager une compétition électorale équitable, crédible et consacrer une vraie compétition et une alternance au pouvoir», plaide M. Chouicha.