-Comment vous sentez-vous à l'issue de la projection ? Dès que nous avons reçu cette ovation, je pensais que c'était une tradition propre à la Quinzaine des réalisateurs, et puis mon regard a croisé celui de Nabil (NDLR : Nabil Asli, comédien qui interprète le personnage-titre du film) et en le voyant, j'ai tout de suite compris que c'était exceptionnel ce que nous vivions. Le public nous entourait, c'était un beau cercle. Ils avaient tous envie d'être avec nous et c'était réciproque. Nous étions connectés. Je trouve ce moment rare, surtout que je suis incapable de vous exprimer son sentiment. -Comment as-tu travaillé ton personnage ? Un livre m'a accompagné,Puisque Mon cœur est mort de Maïssa Bey. Je l'avais chez moi, je l'avais confié à Nabil qui s'en était entiché. J'ai fini par le récupérer en le rachetant dans une librairie. Je me souviens très bien de la libraire me disant : «Vous allez lire ce livre ? C'est tellement dur quand on est maman.» Il fallait que j'aille jusqu'au bout. Puis j'ai longtemps attendu des films qui questionnaient cette période. Des films avant des rôles. Je ne peux vous définir cette attente, mais elle était omniprésente. C'est une envie nécessaire. Dès que Merzak Allouache m'a parlé du scénario, j'ai senti un nœud que j'allais pouvoir dénouer. Et se confronter de nouveau à cette époque mais en tant qu'adulte, ce fut un très long voyage, déstabilisant et flippant à la fois. Quand j'étais enfant, j'imaginais que les terroristes étaient des mutants, qu'ils ne mourraient jamais, qu'ils avaient les sourcils rasés, je me demandais toujours comment ils arrivaient à massacrer autant de personnes. La séquence où je découvre le repenti retrouver sa mère, m'a beaucoup ému. Sans doute que j'en ai fait un parallèle avec mon personnage, Djamila, et son rapport avec sa fille. Avec cette séquence, j'ai compris paradoxalement que les terroristes étaient des humains et des algériens. Ce qui a été dur aussi, c'est l'absence physique de Selma alors que selon moi, elle est dans chaque plan. -Tu voyais ce personnage ? Je ne suis pas maman dans la vie. Je ne savais pas comment travailler mon personnage. Alors je me suis mis à écrire des p'tits mots pour Selma, pour ma fille. Au début, je me sentais ridicule avec ce carnet. Et puis finalement, je trouvais cela tellement bizarre que j'ai arrêté de suite ce processus. Plus tard, j'ai relu ces mots et j'ai constaté qu'elle était en fait très présente. Trois semaines avant le tournage, je me réveillais constamment à l'aube. Alger croulait sous une vague de froid, donc j'allumais ma cheminée et j'écrivais toujours ces mots pour Selma. C'est une période assez irréelle… très étrange. -Comment vous sortez de cette période ? Le jour de la dernière scène, j'appréhendais de la voir enterrée. D'ailleurs, je ne voulais pas voir le lieu tant qu'on n'avait pas tourné. Je craignais de la voir. Je pensais très fortement à moi, à ma vie, au fait que je pouvais avoir aussi un enfant. Cette scène s'est faite en une prise. J'avais tellement besoin de retrouver son corps que je me suis jetée sur sa tombe pour creuser. Rien n'était prévu et après que Merzak ait clôt la scène, je me suis éloignée, j'ai mangé et puis j'ai dormi. Physiquement, ce tournage m'a fait mal. J'ai eu des courbatures, de l'eczéma, pleins de choses physiques qui m'ont handicapée. C'était assez troublant. Selma existera toujours. Quand je suis sortie du tournage, je me suis sentie vieillie. -Comment travaillais-tu avec Khaled Benaïssa et Nabil Asli ? J'ai eu une vraie confiance envers mes partenaires. D'ailleurs quand j'ai commencé dans ce métier, j'ai toujours rêvé jouer avec Khaled Benaïssa et Nabil Asli. C'était le moment, nous y sommes allés. Nous ne nous préparions pas vraiment, il y avait un plaisir dans le jeu qui s'est défini par une vraie force d'écoute. Et puis avec Merzak Allouache, ce qui est jouissif, c'est qu'il nous protège. Sa direction est tellement saine que nous n'avons pas peur d'essuyer des coups. Il parle doucement, écoute beaucoup, puis nous laisse une totale autonomie de sensation. C'est différent à chaque fois. C'est comme un fil, Merzak nous aide à marcher sur ce fil. C'était important de raconter cette histoire.