« Tahya Skikda », une déclaration d'amour qu'El Hadj El Fergani entonna allègrement devant un public ému. Des jeunes, des femmes et aussi quelques vieux de la vieille, des maloufjis pure souche qui ont investi les alentours de l'hôtel de ville pour revoir l'homme. Pour se délecter d'une voix toujours intacte qui a lézardé de sa portée le ciel skikdi en le forçant à s'ouvrir à une « aubade » nocturne comme la ville savait si bien en faire il n'y a pas si longtemps encore. El Hadj semblait à l'aise. Il garde même un petit soupçon de fraîcheur et une extraordinaire jovialité. Une réalité qu'il tiendra à confirmer en refusant de se faire aider pour descendre les quelques marches de l'hôtel de ville. Il eut même un geste aussi allègre que significatif en exécutant sur ces mêmes marches une chorégraphie digne des grands danseurs. C'était là sa façon à lui de dire en un seul pas de danse que « El Hadj mazal b'khir ». Et c'était vrai d'ailleurs, car durant toute la soirée et malgré une sollicitation permanente, il ne refusa rien à ses admirateurs et quand on lui demanda d'honorer de sa voix la soirée, il sourit, prend congé des autorités locales qui l'entouraient, accapare un violon et prend place au milieu des autres musiciens. Un moment d'intense émotion. Mais El Hadj, heureux de humer une fois encore l'air marin de Skikda, donnait l'air de refuser les protocolaires manies de scène. Volontairement ou pas, il réussira à créer autour de lui une atmosphère de gaâda intime plutôt qu'un récital cérémonieux et académique. El Hadj était heureux et ça se voyait, se sentait et s'entendait même. « Tahya Skikda », tiendra-t-il à lancer comme pour témoigner sa ferveur et sa joie de chanter pour un public connaisseur. Il se lance dans un istikhbar qu'il accorde agréablement avec des lancers d'archet qui n'ont pas perdu de leur verve. La virtuosité est intacte. Puis, dans un r'haoui, il lance un mélodieux Lou t'hebbini (Si tu m'aimais) pour titiller une Skikda si nostalgique. Et si le public présent dans l'enceinte de l'hôtel de ville restait admiratif, dehors, juste à quelques pas, sur la place du 1er Novembre, un public beaucoup plus nombreux attablé sur quelques terrasses, accompagnait l'air que les brises nocturnes berçaient dans le ciel. Ici et là, des jeunes tentent même une danse appesantie par le rythme charmeur de la chanson. Ensuite, et remarquant certainement l'engouement d'un public qui en voulait encore, il enchaîne par Mal h'bibi malou. Les têtes chancellent. Des femmes et des jeunes se laissent guider et accompagnent par des chuchotements les couplets. Puis, et comme un must, El Hadj, qui invitait, d'un refrain à un autre, Fatah Rouana son jeune dauphin à l'accompagner, acheva sa prestation en apothéose par un mahjouz endiablé Ana n'nadi b'houbbek (je tonne ton amour). Le public, reconnaissant, ne pouvait qu'applaudir. C'était d'ailleurs ce même public qui sauva les meubles et arrivera par son enthousiasme à cacher un tant soit peu les déboires d'une organisation qui laissait à désirer. Il arrivera même à combler l'oubli, volontaire ou pas, de l'APC qui ne prendra même pas la peine de profiter de la venue d'El Hadj pour l'honorer et lui témoigner une reconnaissance à la mesure de son rang. Car malgré son âge, El Hadj a accepté de se déplacer à Skikda sans conditions. Une petite distinction ou même un bouquet de fleurs aurait certainement contribué à minimiser cette amnésie. Et dire que les caisses du comité des fêtes sont pleines et risquent d'être dépensées pour d'autres spectacles et honorer d'autres figures. Pour El Fergani, il fallait juste lui rendre la pareille, car ce n'est pas tous les jours qu'il vient à Skikda, une ville qui tourne le dos déjà au lyrisme et l'allégresse. Finalement et alors qu'on s'attendait à ce que Skikda l'honore, ce fut plutôt El Hadj qui l'a honorée. Alors, mille mercis et... Yahia El Hadj !