Un bras de fer oppose la tribu des Seharis et le ministère de l'Agriculture au sujet de la réhabilitation de la ferme Driss Omar; chacune des deux parties est persuadée d'être dans son bon droit. En lançant au début de l'année en cours un ambitieux plan de réhabilitation de la ferme Driss Omar (ex-ferme Dufourg), située dans la commune de Loutaya, à 20 km au nord de Biskra, le ministère de l'Agriculture et du Développement rural (Madr) a affiché son objectif de faire de cette exploitation un important centre de production de viande ovine, de céréales et de produits maraîchers. Pour cela, il a placé cette ancienne ferme sous la tutelle de la société de gestion des participations des productions animales (SGP-Proda) qui a été chargée de mettre en œuvre l'opération. La SGP-Proda a alors nommé un directeur de projet. Mais quel ne fut pas l'étonnement de celui-ci qui, en arrivant sur place, a découvert que les terres de ladite ferme étaient exploitées par des fellahs de la région qui refusent de les quitter. Soupçonnant l'Etat de vouloir les déposséder de ces terres leur appartenant «depuis des siècles», selon eux, ils sont entrés en conflit avec le nouvel administrateur. Confronté à une rude levée de boucliers des agricultures exploitant les milliers d'hectares de la ferme en question «de manière illégale», selon ses propres mots, le nouveau directeur a été contraint de recourir à la justice et à appeler à la rescousse le chef de l'exécutif de la wilaya pour l'aider à appliquer ce plan de revalorisation de la ferme Driss Omar. (Voir El watan du 10 mai 2012) Les agriculteurs, en majorité de la tribu des Seharis, ne comprennent pas que l'Etat puisse initier un plan de réhabilitation sans avoir étudié tous ses aspects et ses répercussions sur la population locale. «Nous sommes vilipendés et traités d'indus occupants, certains d'entre nous font l'objet d'une instruction judiciaire pour occupation illégale d'un bien public et risquent la prison. Le wali nous a envoyé des mises en demeure pour nous interdire de travailler nos terres. Nous voulons avertir l'opinion publique de la situation.», ont clamé certains d'entre eux au cours d'une rencontre avec la presse. Ces hommes, à l'instinct grégaire surdimensionné et au teint halé par les longues heures passées sous le soleil à travailler leurs lopins de terres, sont apparemment en proie à un immense désarroi. Ils sont néanmoins déterminés à défendre leurs biens. «Et cela, même contre l'Etat car les véritables protecteurs et travailleurs de cette terre, c'est nous, pas ces théoriciens blottis dans leurs bureaux qui tracent des plans de développement agricole sans prendre en compte l'histoire des terres et des hommes y travaillant depuis des temps immémoriaux», objectent-ils. Une enquête pour identifier les propriétaires Muni d'un plan et de divers documents prouvant, selon lui, la véracité des dires des fellahs, Abdelhamid Boudjemaâ rappelle que la tribu des Seharis était là bien avant les Français et le fameux Dufourg qui, d'après lui, n'avait qu'une ferme et pas plus de 360 ha de cette terre. «Même l'administration coloniale n'as pas réussi à nous déloger de nos terres en vertu de l'exécution du Senatus consulte du 22 avril 1863 octroyant la jouissance de ces terres aux Seharis par un arrêté homologué le 27 juillet 1870», rappelle-t-il. Ajoutant: «Après l'indépendance du pays, cette terre n'a jamais été abandonnée, comme semble le faire croire certains cercles. Ni la révolution agraire ni les plans successifs, de revalorisation, de restructuration et de développement des exploitations agricoles, ne nous ont exclus de ces projets. Mais cette fois, il semble que l'Etat est décidé à nous spolier de nos terres, et nous n'accepterons jamais cela.» Brahim Sellami, vice-président de la coopérative agricole, que ces fellahs ont constituée afin de pouvoir profiter des subventions et des aides publiques, relève une contradiction flagrante dans ce projet de réhabilitation de la ferme Driss Omar. Il affirme: «Il y a quelques semaines, les autorités locales, la télévision nationale et des dizaines de journalistes sont venus voir nos tracteurs en pleine action à l'occasion du lancement de la saison des semailles. Nous avons ensemencé plus de 1000 q d'orge dans la zone 45 qui fait 1396 ha, et plus de 5000 q de blé dans la zone 46 qui a une superficie de 6931 ha. Comment peut-on s'enorgueillir, d'un côté, du travail des paysans de Driss Omar (village éponyme de la ferme) et, quelques semaines plus tard, leur interdire de bénéficier des eaux du barrage de Fontaine des Gazelles et leur demander de quitter leurs terres», s'interroge-t-il. Rabah Hamza est lui dubitatif quant au dénouement de cette affaire. «Les Seharis n'accepteront jamais ce plan mis en place à leurs dépens. Seule une intervention du ministre, l'ouverture d'un débat national autour des terres dites tribales et l'ouverture d'une enquête approfondie pour déterminer les véritables propriétaires des terres de Loutaya, peuvent mettre un terme à l'escalade du conflit, existant entre nous et la SGP-Proda, et nous éviter d'en arriver à commettre des actes extrêmes», avertit notre interlocuteur.