Source de tensions et d'instrumentalisation politiques, l'immigration clandestine est un des dossiers les plus délicats auxquels sont confrontées les sociétés européennes : des déclarations sur l'inégalité des races de Jean-Marie Le Pen aux dernières violences urbaines dans les banlieues françaises du début du mois de novembre 2005, l'immigration fait désormais partie intégrale de l'arsenal électoral. Les nombreux problèmes sociaux et identitaires que soulèvent l'immigration expliquent en partie, malheureusement, ce phénomène. Ainsi, les politiques publiques d'immigration apparaissent insuffisantes, voire impuissantes par rapport aux objectifs qui leur ont été fixés. La nécessité d'en redéfinir les contours s'impose avec force, surtout avec l'événement de la mondialisation qui signifie la fin d'un monde fermé, cloisonné, divisé et où bon nombre de frontières traditionnelles (politiques, monétaires, etc.) se volatilisent, laissant place au diktat de la finance, la mise en concurrence des salariés et des peuples, les désordres financiers, les malversations, les inégalités croissantes, les arbitraires de toutes sortes... Actuellement, il semble que l'idée de la construction d'une « Europe-forteresse » gagne de plus en plus de terrain, car pour la première fois, l'Union européenne aura explicitement la compétence de « définir et de rendre effective une politique étrangère et de défense commune, incluant la construction progressive d'une défense commune » (article I-12 paragraphe 4 du Traité constitutionnel européen). Inédite aussi, la clause de solidarité, demandant que les Etats membres de l'Union « soutiennent sans réserve la politique étrangère et de défense commune dans un esprit de loyauté et de mutuelle solidarité » (art. I-15 paragraphe 2). Ce deuxième point peut avoir de sérieuses conséquences sur les Etats qui ne sont pas (encore) membres de l'OTAN : leur neutralité est mise en question ici ; la Constitution de l'UE pourrait les transformer de facto en membre de l'OTAN sans leur en donner les droits. Enfin, l'aspect militariste de la Constitution européenne est l'un, si ce n'est pas, le nouvel élément central de ce projet ayant pour conséquence l'impossibilité faite à tout Etat membre seul de s'opposer à la politique militaire commune. Par ailleurs, plus ou moins latent, le sentiment xénophobe a toujours existé avec parfois la complaisance des institutions dont le devoir est pourtant de garantir le respect des droits et des libertés. Il faut souligner que les politiques d'immigration européennes ont entamé depuis les années 1970 environ (en France, en Allemagne, en Belgique) une évolution restrictive qui se poursuit et s'étend aux pays d'immigration plus récente (Espagne, Italie, Grèce), sous la poussée également des impératifs de l'espace Schengen. Aujourd'hui, la tendance à considérer l'immigration avant tout, comme un problème de sécurité publique, est particulièrement frappante. La formation sur les enjeux de la communication, assurée récemment par des experts de l'UE et à laquelle avaient pris part des cadres de la DGSN, a été l'occasion pour M. Guerrato, ambassadeur de l'UE, d'annoncer que le montant du programme MEDA alloué sera doublé à l'Algérie, en 2006 et qu'il touchera surtout le volet de la lutte contre l'émigration clandestine et ceux relatifs au terrorisme à la criminalité et à la drogue. De la même manière, la conférence intergouvernementale, qui s'était tenue à Turin en mars 1996, a porté sur les thèmes de l'immigration clandestine, du fichage en matière d'immigration, d'asile politique et de lutte contre la drogue et la criminalité. Cela va de la création de fichiers informatisés aux technologies militaires de surveillance des frontières, en passant par un véritable ansenal de dispositions législatives répressives, sans oublier la mise en réseau des fichiers au niveau international et la coopération policière. L'Union européenne compte porter à 10 millions d'euros, le montant du programme Meda en 2006 (Algérie) et qui consiste à « promouvoir », le dialogue dans les domaines de la politique et de la sécurité visant à créer un climat de stabilité et à promouvoir la démocratie et les droits de l'homme dans les pays de la rive sud. Un des effets pernicieux des politiques d'immigration zéro et du durcissement des législations est le rejet des individus dans la clandestinité et l'augmentation des cas d'illégalité. Ce phénomène touche un nombre de personnes difficilement quantifiable. En fermant les frontières, en rendant plus complexes les scénarios d'accès ou de maintien de la légalité, on assiste à l'apparition de groupes extrêmement fragiles, sans aucune légitimité et exposés à tous les chantages. En outre, la « menace » de l'immigration clandestine et les comportements sécuritaires qu'elle provoque mettent en doute la légitimité de tous les immigrés. L'Europe, terre d'accueil ? Pourtant, l'aspiration à une Europe forteresse ne fait pas l'unanimité. Les sociétés européennes sont traversées de courants contraires, le mouvement associatif des intellectuels, des religieux, etc. font entendre leur voix, réfléchissent à la société interculturelle. L'Union européenne, quant à elle, consacre des lignes budgétaires pour des projets socioculturels destinés à lutter contre le racisme et la xénophobie. Mais en l'absence d'une véritable politique d'immigration commune, et surtout, en l'absence d'un traitement global de la question, ces efforts risquent de rester vains. En effet, à une époque où les politiques européennes, financières, agricoles sont l'objet d'accords communs entre les pays européens, l'immigration reste une question nationale qui relève de la politique intérieure de chaque pays. Pourtant, la déclaration de Barcelone, signée par plus de 27 pays européens et méditerranéens a le mérite de replacer les migrations dans un contexte régional, en reconnaissant « le rôle important que jouent les migrations dans leurs relations ». Et les pays signataires « conviennent d'accroître leur coopération pour réduire les pressions migratoires au moyen, entre autres, de programmes de formation professionnelle et d'assistance à la création d'emplois ». La déclaration établit également un partenariat économique et financier euroméditerranéen, qui devra, à terme, combler les écarts entre les deux rives. Si l'on considère que la pauvreté est l'un des principaux facteurs de l'immigration, un nouvel équilibre économique pourrait avoir des conséquences importantes en termes de migrations. En outre, les parties « s'engagent à garantir la protection de l'ensemble des droits reconnus par l'actuelle législation concernant les migrants légalement installés sur leurs territoires respectifs ». Cette affirmation ouvre le champ à de nombreuses interrogations : les immigrés clandestins ont-ils des droits ? Assistera-t-on à la multiplication des « classes » d'immigrés et à un traitement différencié selon le pays de provenance (immigrés provenant des pays signataires de la déclaration ou des pays non communautaires et non signataires de la déclaration, etc.), et par conséquent, à des politiques d'immigration à deux, trois vitesses ? Cette problématique a été soulevée mainte fois au cours des forums euroméditerranéens tenus à Barcelone. Ainsi, le Forum 10, consacré à l'immigration, a livré une série de recommandations et de propositions concrètes. La plus importante concerne la reconnaissance des droits et des devoirs des migrants et la légalisation de leur situation, ainsi que l'harmonisation des politiques dans les différents pays euroméditerranéens. Fondée sur la déclaration de Barcelone, la réflexion menée par des représentants des sociétés civiles s'articule autour de trois points : le marché du travail ; les migrants comme agent de développement ; l'intégration socioculturelle. L'un des aspects les plus novateurs abordés au cours des discussions est le rôle du migrant en tant que vecteur d'échange culturelles et économiques. La nécessité de modifier la perception négative de l'immigration, largement diffusée par les médias, a également été soulignée. Toutefois, dix années après Barcelone, ce message ne semble pas avoir été entendu. En effet, aucune politique commune, qui traiterait de la question de l'immigration de façon globale, n'a pas encore été élaborée. Le Sud continue donc de souffrir des hésitations et des tiraillements de l'Europe ainsi que de l'absence de grands projets à dimension civilisationnelle. Pourtant, l'Europe a beaucoup à gagner d'une plus grande prospérité dans les pays du Sud. Pour son équilibre interne, dans la concurrence triadique et devant le risque sécuritaire, ne peut-elle prendre exemple sur l'Amérique et l'Asie qui font plus et mieux ? Ou restera-t-elle toujours le continent vieux, sans projets, sans ambition et sans vitalité ? Acceptera-t-elle que sa rive sud soit toujours celle de l'insécurité ? Toujours est-il, que la France comme l'Europe ne peuvent dessiner aucun projet sur la scène mondiale si la politique menée tend à les constituer en forteresse assiégée par des hordes barbares prêtes à les envahir. C'est pourquoi, en traitant l'épineux dossier de l'immigration dans la même lancée novatrice que celle du partenariat euroméditerranéen, il aurait été enfin possible de commencer à ne plus considérer l'immigré comme métaphore de l'illégalité et de l'insécurité.