En langage des banlieues « Fais croquer » signifie « partager ». Une certaine idée de solidarité quelque peu explorée par le jeune cinéaste franco-marocain, Yassine Qnia dont le nouveau court métrage porte ce titre. Une manière de simplifier peut être les choses. « Fais croquer » a été projeté lundi soir à la cinémathèque de Béjaia à la faveur des Xème Rencontres cinématographiques en présence du réalisateur. Béjaia De notre envoyé spécial Muni d'une caméra vidéo, Yacine, un jeune banlieusard rêve de réaliser un film dans sa cité à Aubervilliers (Seine Saint-Denis, nord-est de Paris). Il fait appel à ses amis pour interpréter des rôles. Certains maîtrisent « la lecture » du scénario, d'autres non. Un noir veut avoir une place dans le film. Le réalisateur, qui considère l'afro-américain Denzel Washington comme son meilleur acteur, ne donne pas de rôle au noir pour remplacer une défection. « Tu ne peux pas t'appeler Samir et être noir ! », explique Yacine. Le jeune africain proteste surtout que Yacine a sollicité un blanc pour interpréter le rôle de Samir ! Et chaque « comédien » voit déjà le monde à sa manière. Yacine tente de choisir des figurantes dont l'une porte le hidjab. « Fais croquer » est un court métrage sympathique, léger et sans grande prétention. Yassine Qnia, 24 ans, a voulu, probablement revenir sur sa propre vie à Aubervilliers. Les vidéos gammes et les séries TV l'ont nourri, lui, comme toute la génération des années 1990, en images et en rêves. Comme le « réalisateur » en herbe de « Fais croquer », Yassine adore le cinéma de Martin Scorsese. Aidé par l'Office municipale de la jeunesse d'Aubervilliers (OMJA), il a bénéficié d'un stage sur le cinéma avant de réaliser son premier court métrage, « Arnaque moi si tu peux » dont le titre rappelle le fameux, « Arrête-moi si tu peux », la comédie dramatique de Steven Spielberg. « « Fais croquer » a été tourné dans mon quartier avec mes amis d'enfance. Ma mère joue dans le film aussi. Elle est dans la régie également (…) J'en avais marre de voir des films où je ne reconnaissais pas mes pairs et où je ne me reconnaissais pas moi-même. Mon envie de faire du cinéma est liée à cela. C'est dire nous décrire mais d'une autre façon », a expliqué Yassine Qnia, lors du débat qui a suivi la projection. Yassine Qnia travaille en étroite collaboration avec Hakim Zouhani à travers Nouvelle toile, une entreprise de production basée à Aubervilliers. « Nouvelle toile a produit « Fais croquer » et « Rue des cités », fiction projetée lundi soir aussi. Réalisée par Hakim Zouhani et Carine May, cette fiction, tournée en noir et blanc et faisant usage parfois des techniques du documentaire, raconte encore une fois le quotidien des cités périphériques. La caméra suit l'évolution de jeunes chômeurs dans un univers où tous les coups sont permis, où le père est absent, où la mère est omniprésente, où les uns se revendiquent français et où d'autres rêvent d'une vie meilleure, où les filles font de la boxe, on les jeunes draguent les passantes au bas des immeubles... On s'ennuie rapidement en regardant « Rue des cités ». L'histoire n'a aucune originalité, fade et sans reliefs. Il y a seulement cette envie de dire « nous, on existe », de répondre à un vague reportage de télévision française sur le vol de motos dans lequel les jeunes des cités sont stigmatisés. Mais, cette quête du vouloir être a fait perdre au film son côté magique, toujours nécessaire au septième art. Surtout que Hakim Zouhani et Carine May ont introduit, sans que l'on perçoive la raison, des interviews de personnes rencontrées dans un marché qui ne font que se plaindre, pleurer sur le passé et craindre le pire pour le futur. Au final, cela agace. On croit déceler dans « Rue des cités », des traces de « L'esquive », la comédie dramatique de Abdellatif Kechiche ou du drame « La haine » de Mathieu Kassovitz. Des traces qui s'évaporent vite. « Faire passer les témoignages que nous avons recueillis en fiction aurait pu fait perdre quelque chose d'intense. Quelque chose d'important pour nous », a justifié Carine May. Pour Hakim Zouhani, il fallait éviter de « montrer » la police dans les cités. « Ce n'est pas le quotidien de la majorité des jeunes qui vivent dans ces quartiers. Les politiques ont abandonné ces zones. Le taux de chômage est énorme. La difficulté était de parler de tout cela sans tomber dans le cliché. Les français ont un regard sur la banlieue à travers de ce que véhiculent les médias », a-t-il expliqué. Le film, selon Carine May, tente de décrire la vie dans la banlieue sans faire de la sociologie. «Nous refusons l'idée du message. Ce qui nous intéresse est de raconter le vécu des gens. Parce qu'on ne voit pas cela d'une façon juste dans les écrans », a-t-elle souligné. « Dans les festivals, on veut nous enfermer dans un genre qui n'existe pas et qui est le film de banlieue. On se revendique banlieusards, mais on est cinéaste avant tout lorsqu'on présente un film », a estimé pour sa part Hakim Zouhani.