[Une scène du film Rue des cités]Une scène du film Rue des cités La ville des Hammadite n'a jamais été aussi joyeuse et bavarde qu'en palabrant sur des films qui nous ressemblent et rassemblent à la fois. Traquant le mauvais sort, la ville baignée dans un soleil radieux continue à accueillir dans sa cinémathèque aux sièges pas si confortables faut- il l'avouer, des films différents, mais qui se rejoignent pour certains par la thématique, la trame abordée ou la manière de filmer. Lundi dernier, la Tunisie était à l'honneur et plutôt deux fois qu'une. D'abord, par la vision de la femme et ensuite, l'évocation du printemps arabe. Khobbi fi Kobba de Leyla Bouzid (la fille de Nouri Bouzid plaide pour la défense de la femme à travers une histoire d'une fille qui subit une agression dans une famille tunisienne bourgeoise). Un drame et voilà que la mère panique pour son enfant. Que s'est-il passé? Qui l'a frappée ou poussée dans les escaliers? La mère mène son enquête. Dans ce genre de société arabe, les rumeurs vont bon train et l'honneur d'une fille est vite souillé. Si la fille est perçue d'un mauvais oeil au départ, la mère qui suit souvent la position du père ou celle du grand frère finit par se ranger du côté de sa fille dans une scène de danse magistrale qui l'a faite se rapprocher de son enfant, histoire de dire «vive les femmes, regardez-nous, nous existons en tant que telles, belles et modernes et tant pis pour vous les hommes si vous refusez de le voir et nous considérer comme tout le monde!». Si les plans serrés sur les traits de la fille au visage tuméfié semblent oppressants, la beauté suggérée par le plan large de la mère assise à côté de sa fille respire la paix et le bien-être. Celle de la mère seule dans l'eau aussi, si ce n'est la réflexion et la résolution. Un espoir concret jusqu'à pas si longtemps en Tunisie, si ce n'est la montée des islamistes qui commencent à gâcher le paysage là-bas. Vibrations de Farah Khadar, documentaire de sept minutes est «un cri» qui vient du coeur de cette femme, qui vit en France pour son pays, la Tunisie. Un fragment de lutte lors de la révolution du jasmin, bercé par le fracas des vagues, celles-ci feraient écho à la force de résistance des Tunisiens, appuyée de slogans de contestation. «Je suis anthropologue de formation. Je suis descendu en Tunisie très vite, dans l'urgence d'enregistrer ces images, archiver ce qui s'est passé et comprendre les faits...» Un film et puis un autre en préparation pour former un documentaire plus tard. Des archives ici et là témoins d'une époque, d'une survivance, d'une réalité du terrain telle qu'elle nous est donnée à voir brute, touchante et palpable. Une vérité qu'on veut toucher du doigt pour en balayer d'autres, fausses, falsifiées ou travesties, est un peu la démarche finalement de Fais croquer de Yassine Qnia, un court métrage sur le désir de création d'un jeune banlieusard qui échoue à tourner son film, pris dans l'engrenage des difficultés qu'il rencontre dans son quartier. Mieux, dans Rue des cités de Hakim Zouhani et Carine May, c'est toute une cité qui est filmée en noir et blanc pour dire le vécu de ses habitants, entre documentaire et fiction. Un choix esthétique délibéré qui renvoie à ses images d'archives de ces migrants de la première génération, et qui traduit par ricochet, dans notre subconscient, ce système de cloisonnement et d'exclusion qui a eu pour résultat cette ghettoïsation et paupérisation des masses. Mais au-delà des clichés, les artisanats de ce film ont voulu décrire la ville dans laquelle ils évoluent. «On a voulu décrire la ville dans laquelle on a grandi, ce qu'on vit, ce qu'on ressent. C'est une chronique, des portraits de personnes qui nous ont marqués, des gens qui nous semblent intéressants, c'est pourquoi on savait qui devait jouer tel personnage. Ce film, ce sont des images qui nous représentent car il y en a très peu à vrai dire, au cinéma ou ailleurs. On a voulu les raconter de façon juste», dira Carine Mey. Et Hakim Zouhani d'indiquer: «On s'est dit, on prend notre caméra et on va dire notre vérité. On a fait ce film par rapport à un reportage dans notre cité car il y a certains journalistes qui ne racontent pas bien notre cité. On nous enferme dans un genre qui n'existe pas mais nous, on se revendique en tant que cinéaste, c'est tout.» Engagement politique ou pas, mettant par ailleurs en exergue les luttes sociales qui minent le système économique en France, ces films considérés comme «sauvages» car tournés avec très peu de moyens, ne sont pas sans rappeler une autre heureuse aventure cinématographique, Donoma de Djinn Carrenard créé avec 150 euros. Issus du milieu associatif, Carine Mey et Hakim Zouhani poursuivent à travers ces films tournés quasiment à l'arrache-pied, leur démarche généreuse envers les enfants des cités puisque pour rappel, ils sont déjà venus à plusieurs reprises encadrer des jeunes Algérois dans des ateliers de formation cinématographique avec le concours de l'association SOS Bab El Oued. Un travail de proximité qu'ils perpétuent ici dans ces deux films présentés à Béjaïa mais précédemment aussi dans diverses rencontres y compris le Festival de Cannes l'an dernier. Du cinéma neuf, sensitif, dynamique et novateur incarnant la nouvelle génération de cinéastes qui se plaisent à faire des films sur eux-mêmes pour dire leur différence, mieux, qui ils sont vraiment sans tomber dans l'ennuyeux pessimisme mais avec une pointe d'humour et chaleur humaine certaine. Un peu comme dans Rengaine de Rachid Djaidani, présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes. Des films comme cela, il en faut en vérité car ils témoignent réellement d'une époque, du pouls d'une société ou du moins une partie, au-delà de l'aspect voyeur ou redondant des courses-poursuites et descentes policières qui minent la vision sur ces quartiers, taxés d'emblée de chauds par les médias. «Il y a une violence sociale certes dans mon film, du désoeuvrement. Les politiques ont abandonné ce genre de quartiers. Chacun a ses propres clichés. Les nôtres on les aime bien tout en essayant en même temps de les contourner...» fera remarquer, à juste titre, Hakim Zouhani.