Une maison qui tombe en ruine. Une pension de retraite dérisoire pour faire vivre ses trois enfants. Et en prime les cruautés de l'injustice, de l'ingratitude et de l'insécurité. Dix-huit ans après la disparition du journaliste, sa veuve Nacéra ne sait plus à quel saint se vouer. «Mes fils et moi avons été abandonnés de tous. Et je constate que même la mémoire de mon mari a été trahie. Qui se souvient de lui ? Personne n'évoque le combat qui a été le sien», déplore la veuve du «martyr de la plume», pris pour cible par les groupes terroristes durant la décennie noire. Dans sa petite bâtisse de la localité de Larbaâtache, un des murs de soutènement commence à s'affaisser, ce qui provoquera un glissement du terrain. Dans les petites pièces, les lézardes courent sur les murs et le plafond. «J'ai quand même pu effectuer quelques travaux et réparations, mais cela ne change pas grand-chose», affirme Nacéra. Mohamed Hassaine était le correspondant du quotidien Alger Républicain pour la wilaya de Boumerdès. Il était originaire de Larbaâtache, où il résidait. Et c'est à quelques mètres de chez lui qu'au matin du 28 février 1994, il est enlevé par un groupe terroriste. Depuis, sa famille ne le reverra plus jamais. «C'était en plein mois de Ramadhan. Comme tous les jours, il est sorti de la maison vers 7h30 afin de se rendre à son travail. Il n'est jamais rentré», relate la veuve, la voix étranglée par les sanglots. A l'époque, personne ne sait vraiment ce qu'il est advenu de lui et les conditions de son enlèvement. C'est bien après que les voisins racontent à Nacéra ce qu'ils avaient vu ce jour-là : la voiture qui attend Mohamed au coin de la rue, les hommes armés qui en descendent, le menacent de leurs armes afin de le contraindre à monter à bord du véhicule. «Tout le monde connaissait ceux qui l'ont enlevé et assassiné. Mais tout le monde avait tellement peur», explique-t-elle. «Un responsable m'a dit que les forces de sécurité n'allaient tout de même pas fouiller et retourner toutes les forêts et les montagnes pour retrouver sa dépouille !», s'indigne-t-elle, écœurée. La région était connue pour être un fief des groupes terroristes, mais Mohamed refusera jusqu'au bout de quitter ce village. «Il pensait qu'il lui suffirait de passer deux semaines à l'autre bout du pays pour se faire oublier par ces fous. Je l'ai même supplié à maintes reprises d'écrire sous un pseudonyme». Mais en vain. Pourtant, il se savait menacé de mort. «Mais il ne m'en a jamais parlé. A l'époque, j'étais enceinte et il voulait me préserver», relate-t-elle. «Après sa mort, j'ai appris qu'il recevait des lettres de menaces comme par exemple‘'tu vas mourir comme un sale communiste'», poursuit-elle. Mépris des autorités et désolidarisation de la corporation «C'est pour cela que le deuil est tellement dur et que la situation dans laquelle nous sommes est encore plus scandaleuse», souffle-t-elle en écrasant une larme. «Mort comme un chien après voir vécu comme un lion. Son corps a été jeté Dieu seul sait où, il n'a même pas eu le droit à une sépulture décente. Ses fils n'ont même pas la 'chance' d'avoir une tombe où pleurer leur père», sanglote-t-elle. «Tout au long de sa vie, Mohamed a travaillé avec honnêteté, droiture et abnégation. Il a payé de sa personne sa passion du métier et sa solidarité avec les plus démunis et les plus lésés. Il est mort pour ses convictions, mais rares sont ceux qui s'enquièrent du sort de sa veuve ou de ses orphelins», confie Nacéra, les yeux dans le vide. «Je ne sais pas comment j'ai fait pour réussir à élever mes fils», avoue-t-elle en se passant une main dans les cheveux. Lorsque Mohamed a été enlevé, l'aîné avait six ans et le benjamin n'avait pas encore deux mois. «A sa mort, il n'avait que 40 000 DA d'économies sur son compte et son seul bien est cette vieille maison en ruine», assure Nacéra. Cette dernière était fonctionnaire à la wilaya de Boumerdès. Mais elle est contrainte d'abandonner son poste à la suite de diverses pressions. «La société est impitoyable avec les femmes seules qui doivent se débrouiller pour leur famille», dit-elle. La famille de feu Mohamed Hassaine n'a ainsi pas eu le droit aux indemnités et autres réparations octroyées aux victimes du terrorisme. «Je n'ai eu aucune aide de l'Etat, rarement de la corporation ou d'associations. Tout ce que je demande est qu'on accorde leurs droits à mes garçons. Ils ont vécu sans père. L'Etat devrait au moins leur assurer un toit décent», conclut Nacéra.