La vague de violences, qui a sévi lundi et mardi dans différents quartiers de la capitale tunisienne et d'autres régions du pays, n'a pas laissé de marbre le gouvernement. Voulant sans doute afficher la sainte alliance, le président Moncef Marzouki, le président de l'Assemblée Mustapha Ben Jaffer et le chef du gouvernement Hamadi Jebali ont signé un communiqué commun condamnant des «groupes extrémistes» et des «spectres du régime déchu». Sans désigner clairement l'identité des fauteurs de troubles, le triumvirat au pouvoir cible les militants salafistes et les animateurs des réseaux de l'ex-RCD encore actifs. Mais pour garder la «touche» islamiste du gouvernement, le communiqué a également condamné les «provocations», en référence à l'exposition artistique aux accents «blasphématoires», selon les salafistes, ayant allumé le feu dans le pays. En somme, le communiqué des autorités tunisiennes est un savant dosage politique en ce qu'il charge à la fois les casseurs barbus et les artistes imprudents.Une façon de renvoyer dos à dos les deux camps sans avoir à choisir ni l'un ni l'autre. Dans leur communiqué, les trois présidences ont ainsi condamné «l'atteinte au sacré» qui «ne procède pas de la liberté d'opinion et d'expression et qui vise à provoquer et à semer la discorde ainsi qu'à profiter d'une situation sensible pour nourrir les tensions». Le ministre de la Culture, Mehdi Mabrouk, a enfoncé le clou en annonçant qu'il allait déposer une plainte contre les organisateurs de l'exposition et fermer le palais où les œuvres sont exposées. Le saint et le malsain Son parti, le mouvement Ennahda, a surfé sur la vague et a appelé à manifester demain après la prière du vendredi. Ses troupes vont donc faire cause commune avec les salafistes qui avaient lancé cet appel dès mardi. Le chef spirituel d'Ennahda et du pouvoir en Tunisie, Rached Ghannouchi, s'en est tout de même pris au chef d'Al Qaîda, Ayman Al Zawahiri, qui a appelé lundi au «soulèvement en Tunisie». «Ayman Al Zawahiri n'a pas d'influence en Tunisie. Cet homme est une catastrophe pour l'islam et pour les musulmans», s'est-il écrié. Il s'est même posé en garant des salafistes tunisiens, «dont seule une minorité», d'après lui, «prône la violence et n'a pas de lien avec Al Qaîda». C'est dire que les autorités tunisiennes tentent, par un subtil exercice sémantique, de déconnecter les violents affrontements des motivations religieuses, voire terroristes. Pour les trois présidences, ces groupes de casseurs tentent juste de «perturber le pouvoir et de semer la terreur, s'arrogent le droit de se substituer aux institutions de l'Etat et tentent de mettre sous leur coupe les lieux de culte». Tout un programme ! Mais la cible privilégiée des autorités semble être les «spectres du régime déchu qui tentent de mettre en échec le processus de transition». Le communiqué souligne ainsi que «ces événements surviennent à un moment où le pays avance vers l'écriture de sa nouvelle Constitution et l'édification de ses institutions» et où «le pays enregistre des indicateurs économiques positifs et une saison agricole et touristique prometteuse». Comprendre que ce genre d'attaque vise surtout à casser la dynamique du gouvernement à faire avancer le pays tant au plan politique qu'économique. Ennahda et salafistes main dans la main Un argumentaire très commode pour l'équipe Ennahda qui pourrait s'y appuyer pour justifier son maigre bilan à l'heure du suffrage universel. «A chaque fois que la Tunisie entre dans une phase d'apaisement, de tels événements ressurgissent», lit-on, en effet. Cela étant dit, le calme semblait revenir hier, au lendemain de deux jours d'émeutes. Mais la tension reste vive, en témoigne la décision du gouvernement de décréter, mardi, un couvre-feu nocturne sur huit gouvernorats du pays, dont Tunis. Et pour cause, les violences ont provoqué la mort d'un jeune de 22 ans à Sousse (est), plus d'une centaine de blessés, dont 65 policiers et environ 160 arrestations. Les manifs prévues demain pour dénoncer «l'atteinte au sacré» risquent d'alourdir davantage l'atmosphère dans un pays qui ne sait plus sur quel pied danser, voire même s'il peut danser…