La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans le milieu maritime. La PDG de CNAN Group a été démise de ses fonctions, jeudi dernier, et un nouveau conseil d'administration a été installé dans des conditions qui laissent perplexe. En effet, selon certains cadres de la compagnie maritime, ce limogeage – qui, faut-il le préciser, n'a pas été précédé d'une convocation de l'assemblée générale des actionnaires ou du conseil d'administration, comme le prévoit le code du commerce – est lié au refus de l'affaire Ledarrow, la filiale du groupe Pharaon, avec laquelle la compagnie est en justice auprès de la Chambre de commerce internationale de Paris. «La présidente ayant reçu des injonctions pour recaser plus de 100 marins et de leur payer leurs arriérés de salaires en souscrivant un prêt auprès d'une institution financière alors que ces salaires sont à la charge de l'affréteur Leadarrow, filiale du groupe Pharaon. Ils ont d'ailleurs fait l'objet d'une demande auprès du Tribunal arbitral de Paris (Chambre de commerce internationale)», affirme, sous le couvert de l'anonymat, un cadre supérieur de la compagnie en précisant : «Ce recasement se basait sur un faux engagement établi entre IBC, filiale de CNAN Group, daté du 27 septembre 2007, alors que la cession des 51% des actions d'IBC au groupe Pharaon avait été effectuée le 24 septembre 2007. A la date du 27 septembre 2007, IBC n'était plus une filiale de CNAN Group. Ces faux engagements ont été établis pour donner une assise ‘légale' au recasement des marins d'IBC au sein de CNAN Group.» Un autre cadre souligne : «Il a été demandé à la PDG de reprendre dans l'effectif du groupe le directeur général de la société IBC, pour un salaire mensuel de 140 000 DA, soit le double du sien, alors que l'affaire de la vente des 51% des actions de la société IBC, avec ses huit navires, pour un montant de 9 millions de dollars, au milliardaire saoudien Ghaith Rashad Pharaon, est actuellement en instruction au tribunal d'Alger pour malversation. Le Aïn Témouchent et le Hadjar, faut-il le rappeler, ont été réparés à la veille de la cession pour un montant de 12 millions de dollars supporté par la CNAN. Désigné par le Saoudien à la tête de IBC, le directeur général d'IBC a fait l'objet de plusieurs écrits dénonçant les contrats relatifs aux opérations de réparation des navires. Ces rapports ont constitué les mémoires déposés par les avocats de CNAN Group aussi bien auprès du Tribunal arbitral de Paris qu'à celui de Londres.» Nos interlocuteurs qualifient le limogeage de la PDG de «très grave» dans la mesure, disent-ils, «où il participe à la volonté de saborder les intérêts de l'Algérie dans la plainte de Ledarrow contre IBC, déposée auprès du Tribunal maritime international de Londres. La société IBC, faut-il le préciser, ne pourra plus être représentée devant le Tribunal de Londres pour engager une demande reconventionnelle aux fins de condamnation de Leadarrow, filiale du groupe Pharaon. Les statuts d'IBC prévoient que c'est le PDG de CNAN Group qui devient président du conseil d'administration d'IBC après sa désignation par l'assemblée générale des actionnaires. Or, la majorité des actionnaires étrangers ne veulent plus venir en Algérie de crainte d'être inquiétés du fait des malversations commises dans la gestion à leur seul profit des huit navires de la flotte d'IBC.» Pris par les Somaliens, le Blida a été libéré après paiement de la rançon Nos sources se déclarent «stupéfaites» de la réaction des pouvoirs publics vis-à-vis de la PDG de CNAN Group qui, selon eux, n'a fait que défendre les intérêts du Trésor public en bloquant «les appétits dévorants» et les mauvaises intentions du groupe saoudien. A ce titre, ils déclarent que l'affaire de piraterie dont a fait l'objet le navire Blida est l'exemple même de la mauvaise foi du partenaire. «Lorsque le navire a été arraisonné en janvier 2012 par les pirates somaliens, il a été déclaré en perte totale auprès des assureurs et ce, à l'insu de l'autorité du pavillon (c'est-à-dire de la direction de la marine marchande, ministère des Transports) étant donné qu'il battait pavillon algérien. De ce fait, une somme de 3 468 750 de dollars, soit l'équivalent à 92,5% de la valeur assurée (3 750 000 dollars) a été versée au titre de la perte totale au groupe Pharaon qui s'est fait passer pour l'armateur du navire. Après versement de cette indemnité au groupe Pharaon, les assureurs sont devenus propriétaires du Blida sans que l'autorité du pavillon n'en soit informée pas plus d'ailleurs que CNAN Group, propriétaire pourtant de 49% du patrimoine de la société.» Plus grave encore, sur la base de la déclaration du groupe Pharaon, le navire Blida a changé de propriétaire ; il est devenu la propriété du groupe Pharaon pour encaisser l'indemnité au lieu et place de l'armateur. La mention CTI sur les documents d'assurance montre que c'est bien CTI qui s'est fait passer pour l'armateur. Pour ce qui est de la rançon, ajoutent nos interlocuteurs, les avocats de CNAN Group ont appris à Londres qu'elle a été payée par les assureurs sur la base de l'assurance «risque guerre» et non pas par Pharaon. Force est de constater que la PDG de CNAN Group est en réalité victime de sa gestion. Une gestion basée sur la protection des intérêts de la compagnie et, de ce fait, des deniers publics. Depuis que la plainte de Leadarrow a été reçue à Londres et à Paris, la PDG a fait l'objet des plus lourdes pressions de la part de la tutelle. Ainsi, ni la SGP Gestramar ni le ministère «n'ont pris les mesures pour débloquer les sommes nécessaires à la poursuite du procès de Londres et de Paris, malgré les nombreuses relances qu'elle a écrites». Un blocage qui profite bien entendu au milliardaire Pharaon et lui permet d'avoir toutes les chances de gagner ses procès après avoir eu toutes les facilitations pour l'achat des actions de la société IBC (huit navires de la flotte) pour une bouchée de pain. A lui seul, le Hadjar valait 18 millions de dollars ; la somme que Pharaon a payée pour les huit navires…. La PDG, faut-il également le rappeler, a été pour beaucoup dans l'instruction relative à la gestion de la CNAN, actuellement en cours. De nombreuses affaires de malversation ont été constatées, parmi elles celle liée à la cession dans des conditions très douteuses des huit navires de la compagnie au groupe Pharaon.