-L'économie et l'agriculture algériennes n'arrivent pas à décoller. En tant que politologue et économiste, pouvez-vous nous dire pourquoi ? C'est simple, une libéralisation de l'économie, sans exposition à la compétition internationale, conduit à la privatisation de rentes aussi longtemps que le niveau de compétition est bas, ce qui est le cas de votre pays étant donné l'étroitesse de son marché intérieur. Les entreprises privées algériennes dépendent, pour parvenir à importer, de voies d'accès aux devises qui résultent finalement d'un lien politique. Une libéralisation, basée sur un taux de change irréaliste par rapport à la compétitivité de l'industrie algérienne, a donc conduit à des structures rentières au moins aussi opaques que celles qui prévalaient lors de la dégénérescence de l'ancienne classe-Etat algérienne. Ces structures sont maintenues en invoquant l'intérêt national à la préservation de certains potentiels économiques. Elles permettent d'accaparer des rentes utilisées pour le maintien du pouvoir, ce qui implique la limitation de la régulation marchande et, en raison du montant limité de la rente pétrolière, celle de la démocratie. En apparence, l'Algérie a libéralisé son économie. Dans les faits, cette prétendue libéralisation a surtout affaibli les contrôles qui existaient dans le modèle bureaucratique, sans introduire les contrôles du marché ou de la démocratie. La classe rentière, qui se dit entrepreneuriale, est encore moins dynamique que les «technocrates» dévoués de l'ère Boumediène. Cet immobilisme rend nostalgiques de larges groupes de la population. Le passé récent est considéré avec regrets, mais les raisons essentielles de l'économie planifiée ne sont pas abordées. Une telle attitude risque de négliger les défis actuels : comment gérer la rente pétrolière, ressource de financement importante, de manière à réussir la «greffe technologique» ? La rente ne peut servir à la transformation de compétences techniques qu'à une seule condition : qu'elle finance l'avantage d'un acteur économique en orientant son comportement vers plus de productivité. Ce fut la logique de l'allocation de sommes importantes à l'investissement. Les restes à réaliser (RAR) ont montré que l'on pouvait contrôler l'allocation de ces sommes en matière d'achat de biens d'équipements, mais non les rendements économiques de ceux-ci en raison d'un problème d'information. Les entreprises nationales ont toujours été capables de démontrer que leurs mauvais résultats étaient dus à l'état de sous-développement de l'économie algérienne (manque d'infrastructures, faible niveau de qualification de la main-d'œuvre, tissu industriel déficient, etc.). -Que faire alors ? Mon message est qu'au lieu de se complaire dans l'aisance financière jusqu'à ce qu'il soit trop tard, le défi à relever consiste à utiliser la rente maintenant, alors qu'elle est encore importante, afin de mettre au travail une population qui a largement dépassé le potentiel agricole de l'Algérie et qui ne pourra survivre sans le développement de la production industrielle. Lamentations et auto-apitoiement ne provoqueront pas de changement de stratégie. Le développement économique ne sera possible qu'en se mettant au travail. Lorsqu'une stratégie d'exportation de biens manufacturés aura été établie, elle pourra être complétée par des stratégies visant à accélérer l'accroissement des compétences techniques et l'amélioration des conditions de production de l'Algérie et le développement de son agriculture.