La grâce lui fut refusée par le président de la République Coty. Qui est Coty René ? Sénateur, il avait voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 9 juillet 1940 (JO. N°42, p. 354). C'était le constat de décès de la IVe République et l'acte de naissance de « l'Etat français » dit « Vichy » qui institutionnalisait la collaboration avec les troupes d'occupation de son pays. A la charnière du gouvernement de Vichy et de la IVe République, il y eut le 8 mai 1945 à Sétif, puis sa suite logique le 1er novembre 1954. Une loi d'avril 1955 plaçait, alors, l'Algérie sous le régime de « l'état d'urgence ». En clair, le pouvoir législatif investissait l'armée des pouvoirs de police et judiciaire, autrement dit les militaires allaient rendre la justice... comme le firent, sous Vichy, « les sections spéciales » de sinistre mémoire jugeant les résistants qui prirent les armes pour libérer leur patrie. Depuis, cette législation dite « d'exception », théoriquement provisoire, n'avait cessé d'étendre le champ de compétence de l'armée, successivement par les lois d'août 1955, mars 1956, juillet 1957. La phase de l'instruction, pourtant sommaire ou inexistante, était tellement engorgée que les audiences de jugement ne pouvaient suivre. En solution, Salan, exerçant les pouvoirs civil et militaire, réclamait l'instauration d'une « cour martiale » qui jugerait plus expéditivement... et avec moins d'indulgence (SHAT., cote I R 318). Est-il utile de préciser que la mesure coïncidait avec les vœux de la quasi-totalité des Européens d'Algérie. La IVe a fini par succomber à ses penchants immodérés pour l'uniforme. Un quarteron de généraux, nés vers la fin du XIXe siècle, imbus de la doctrine coloniale, passés par la Meuse en juin 1940 et par Diên Biên Phu en mai 1954, allaient mieux faire sous la Ve. D'ailleurs, au départ, ils ne furent pas déçus : un décret du 12 février 1960 étendait la compétence des tribunaux permanents des forces armées « aux mineurs âgés de seize à dix-huit ans, auteurs, coauteurs ou complices... » (art. 9). Ce récital des textes répressifs a pour première mission d'illustrer la pratique du fallacieux et prétendu principe de la séparation des pouvoirs, un des dogmes des institutions françaises. Le pouvoir judiciaire, théoriquement indépendant, avait consenti, sans broncher, que la toge et la balance soient foulés à la botte de l'état-major, avec la complicité du pouvoir législatif... et de l'université : tout au plus, un à deux titulaires de chaire du Panthéon avaient concédé du bout des lèvres, par un délicat euphémisme, qu'il y avait eu « flexibilité » du principe de légalité. Aucun magistrat civil n'avait refusé de se mettre sous tutelle militaire. Les présidents de cour étaient appâtés par l'attribution de grades militaires. Certains avocats s'inscrirent comme volontaires pour les désignations d'office, afin de satisfaire à la mascarade du débat contradictoire, dans les cas de « flagrant crime ». Il n'est pas inutile de faire remarquer, au passage, que le président de l'Assemblée nationale, magistrat de formation, gardien du législatif et 4e du rang dans l'ordre hiérarchique, s'est abstenu de déposer un rapport écrit, demandé hâ tivement par le chef de l'Etat, sur « l'action du parlement dans l'histoire ». Cette « mission personnelle » périlleuse relevait, à l'évidence, d'une lacune : le Service historique de l'Armée de terre ayant déjà dressé le répertoire des lois et décrets qui ont progressivement dévolu la totalité des pouvoirs à la Xe Région militaire, opérationnelle en Algérie, depuis 1946 (décret du 18 fév.). Soit quinze textes d'avril 1955 à février 1960, jusqu'à la loi du 14 janvier 1961, « concernant l'autodétermination des populations algériennes », qui sera suivie une année plus tard par l'accord de cessez-le-feu. El Djeïch, dans son numéro 508, commémorant le 1er novembre 1954, n'a pas manqué d'énumérer les sinistres performances des gouvernements successifs. A. Peyrefitte avait confessé dans diverses interventions que « la guillotine fonctionnait si souvent qu'elle marchait mal et que les exécutions devenaient aléatoires... » Iveton figure dans la longue liste des suppliciés sur décision de « justice ». Mais combien d'autres passés par les armes sommairement ou tombés les armes à la main ? Oublié Fernand Iveton ? Non, ni lui ni aucun autre... Au gré de publication ou d'exposition de leurs portraits, on reste pétrifié devant leurs jeunes et immortels visages, à peine sortis de l'adolescence. Qui nous empêche les uns/es de rétablir l'équité. A la mémoire de tous ceux qui firent le choix de sacrifier leur vie, pour forcer l'histoire à accoucher d'une Algérie souveraine, cette contribution en hommage à leur courage viriliste, émancipateur. Paris, le 17 février 2006 Zahia eM. G. [email protected]