Les élections législatives d'aujourd'hui, en Libye, pourraient porter les islamistes au pouvoir, comme cela a été le cas en Tunisie et en Egypte, après le Printemps arabe, même si les libéraux conduits par les architectes de la révolution libyenne se disent confiants en leur victoire. Avec plus de 100 partis en lice pour ce scrutin qualifié d'«historique» en Libye, après quatre décennies de dictature, les pronostics sont difficiles. Mais trois partis sortent clairement du lot : les islamistes du Parti de la justice et de la construction (PJC), issu des Frères musulmans, et ceux d'Al Watan, dirigés par l'ex-chef militaire controversé de Tripoli Abdelhakim Belhaj, et les libéraux réunis dans une coalition lancée par l'ex-Premier ministre du Conseil national de transition (CNT, au pouvoir) Mahmoud Jibril. Malgré une concurrence rude des islamistes dans une société ultraconservatrice, malgré aussi les déconvenues électorales de leurs homologues tunisiens et surtout égyptiens, la coalition de M. Jibril, qui réunit plus de 40 petits partis et 200 organisations, croit en ses chances. Elle compte dans ses rangs des personnalités appréciées par une grande partie des Libyens, comme MM. Tarhouni et Jibril, pour avoir fait leurs preuves durant le conflit qui a fait tomber le régime de Mouammar El Gueddafi. Sur les 200 sièges de l'Assemblée nationale, 120 ont été réservés aux candidats individuels et les 80 restants aux mouvements politiques. Mais ceci n'a pas empêché certains partis d'appuyer des candidats individuels. Durant la campagne électorale, les candidats, islamistes ou libéraux ont adopté quasiment les mêmes thèmes : Islam, reconstruction et modernité. Mais en l'absence de traditions démocratiques, ce sont surtout les réseaux relationnels et tribaux qui feront la différence. Pour les autorités, le défi reste maintenant la sécurisation du scrutin. Depuis quelques jours, des craintes s'expriment, en effet, sur les capacités du gouvernement de transition à faire en sorte à ce que l'élection se déroule sans encombre et que la population s'exprime librement. La situation pourrait surtout être tendue dans l'Est, où des partisans du fédéralisme, réclamant plus de sièges parmi les 200 élus de la future Assemblée constituante, ont appelé au boycott des élections et menacé de saboter le processus électoral. Un scrutin à hauts risques Le 1er juillet, des hommes armés avaient saccagé les bureaux de la Commission électorale à Benghazi, bastion de la révolte libyenne à l'Est, mettant le feu à des documents et détruisant du matériel informatique. Un incendie «criminel» avait également ravagé, jeudi, un dépôt contenant du matériel électoral à Ajdabiya (Est). Le gouvernement négocie aussi, depuis quelques jours, le départ d'un groupe de partisans du fédéralisme qui perturbent le trafic sur une route stratégique reliant l'Est à l'Ouest. Ces protestataires réclament une «répartition équitable» des sièges de l'Assemblée constituante entre l'Ouest, le Sud et l'Est. Les autorités ont, en effet, attribué, sur la base de données démographiques, 100 sièges à l'Ouest, 60 à l'Est et 40 au Sud. Certains groupes islamistes de cette région, considérés comme une minorité par les autorités, s'opposent, quant à eux, au vote, estimant que le Coran devrait être la Constitution du pays. Des représentations occidentales et des bureaux de la Croix-Rouge, en particulier dans l'Est, ont été visés par des attaques, dont certaines ont été revendiquées par un groupe islamiste inconnu, mais sans faire de morts. Le ministère de l'Intérieur a récemment annoncé avoir reçu des rapports des services de sécurité faisant état de plans de partisans du régime déchu de Mouammar El Gueddafi visant à perturber le déroulement des élections. Outre ces oppositions, les affrontements meurtriers qui éclatent régulièrement entre groupes et milices armés, souvent formés d'anciens combattants rebelles, en particulier dans le sud et l'ouest du pays, représentent aussi une source d'inquiétude. Amnesty International a prévenu, jeudi, que personne ne contrôlait réellement ces groupes armés, souvent en conflit les uns contre les autres et qui risquent de faire dérailler un processus de transition déjà fragile. «Il y a des problèmes ici et là, mais nous ne pensons pas qu'ils auront une incidence sur les élections», a néanmoins assuré, mercredi dernier, Salem Guenen, vice-président du CNT.