Mouloud Haddad, historien à l'université Paris 8, a démontré le caractère religieux adopté par le Front de libération nationale (FLN) pour mobiliser la population algérienne durant la guerre de Libération. Il intervenait, au premier jour du colloque international organisé par El Watan, depuis jeudi dernier et jusqu'à aujourd'hui à la salle Cosmos de Riadh El Feth (Alger). Le conférencier affirme que durant la guerre de Libération, les autorités coloniales considéraient la mobilisation des musulmans (algériens) comme de type archaïque. Ce qui incite le FLN à donner, en 1956, une définition à la guerre sainte. «Le djihad est la concentration d'efforts alloués jusqu'au martyre sans contenir de la haine.» Ainsi, dans la Wilaya III, on réinstaure l'esprit du imessebel, forme amazighe du mot arabe moussabil, une sorte de volontaire. Le moussebel du XIXe siècle est différent de celui des années 1950 ; il était alors un soutien, pas un combattant. Dans les années 1800, le moussebel c'était le soldat voué à une mort certaine ; il avait le statut de moudjahid. C'était une figure islamique et particulièrement kabyle. A cette époque, les cheikhs de la tariqa soufie Rahmania promettaient le paradis aux moussebiline qui venaient d'être recrutés. Les hommes de religion se chargeaient de leur incorporation. Le moussebel était généralement un jeune homme célibataire. Il devait obtenir l'assentiment de son père ou d'un parent s'il était orphelin, pour rejoindre les troupes. Une fois regroupés à tedjmaât (assemblée kabyle), les candidats devaient accepter des conditions. Mouloud Haddad revient sur un épisode phare. En 1871, les cheikhs Aheddad et Mokrani (maîtres soufis de la Rahmania) ont enclenché une révolte. Chaque village kabyle devait fournir au moins 20 moussebiline, qui étaient dotés d'une tenue qui les distinguait du reste des troupes. Autre anecdote : en 1854, les moussebiline avaient le torse nu ; ils portaient une culotte (l'équivalent d'un court pantalon aujourd'hui). «Des hommes nus jusqu'à la ceinture, attachés les uns aux autres par une corde pour ne pas reculer», décrit l'intervenant. Les moussebiline étaient commandés par un moqadem (grade d'enseignant de la tariqa Rahmania). On lisait sur le moussebel la prière du mort, car il n'était pas certain qu'il revienne. Il y avait deux sortes de moussebel, explique Mouloud Haddad : le héros et le damné. Pour le premier, en plus des honneurs, on lui trouvait une femme et on finançait son mariage. Sa famille avait tout le prestige et le respect de la tribu. Le blessé recevait en outre une pension à vie. Pour le second, s'il s'était montré pleutre (lâche) au cours du combat, il devenait quasiment interdit à la tribu de lui adresser la parole. Sa famille, déshonorée, préférait s'exiler vers les grandes villes. Le FLN utilisera l'esprit d'honneur du moussebel au cœur de son action pour supplanter les structures déjà existantes. En plus du contrôle social des populations, le sacrifice était mis en exergue comme point culminant de l'engagement. Le moussebel est un martyr par excellence. Cette marque de fabrique avait permis au FLN d'avoir dans ses rangs des hommes courageux. Comme au XIXe siècle, le FLN exigeait des combattants quatre conditions : ne pas divulguer de secrets, ne pas déserter, ne pas refuser l'ordre d'un supérieur hiérarchique, ne pas perdre une arme ou porter atteinte aux valeurs islamiques et patriotiques. Mouloud Haddad indique qu'à partir de 1955, le FLN se pose en «dicteur» de morale religieuse. Pour confirmer cette autorité, le parti imposa à la Rahmania la surpression de la prière du mort. Il a interdit aussi à la confrérie soufie de procéder au rite funéraire des harkis, considérés comme traîtres. Dans la Wilaya III précisément, se substituer à l'autorité de la Rahmania rehaussait le prestige des chefs. Pour le FLN, la religion devint un accélérateur de mobilisation afin de conjurer la peur, de construire une identité et de réguler l'ordre social. Le FLN instaura plusieurs interdits, déjà proscrits par l'islam, qu'il sanctionnait sévèrement ; l'adultère était, par exemple, puni ; le manque d'hygiène était perçu comme une atteinte à la morale révolutionnaire.