En ce mois de juillet 2012, l'Algérie comme pays indépendant atteint ses 50 ans d'âge. Au-delà du caractère commémoratif de cet événement majeur et des rappels rétrospectifs des rudes épreuves qu'a vécues le peuple algérien sous le joug colonial, il y a nécessité de faire un bilan d'étape des 50 années de gestion des secteurs stratégiques et névralgiques du pays. C'est le cas du patrimoine foncier qui a toujours constitué le socle du développement de l'économie nationale. Cinq décennies après l'indépendance du pays, la question du foncier agricole se pose doublement avec un risque avéré d'exposer les générations futures à des vulnérabilités alimentaires aiguës : d'un côté, une superficie agricole utile (SAU) très limitée de 8,5 millions d'hectares, soit 3,5% seulement de la superficie totale du pays qui avoisine les 240 millions d'hectares, avec une proportion de moins de 0,2 ha/habitant. Ceci est d'autant plus inquiétant que la croissance démographique observe un rythme relativement accéléré passant de 29,1 millions à 34,8 millions d'habitants entre 1998 et 2008, selon le 5e recensement général de la population et de l'habitat de 2008 et plus de 37 millions d'habitants au début de l'année en cours. Si les besoins alimentaires s'en trouvent accrus, la hausse de la population s'accompagne également d'une consommation de terres arables à haute valeur au profit d'autres secteurs utilisateurs. Il y a bien une politique d'urbanisation intensive menée depuis le début des années 2000 à la faveur du raffermissement de la rente pétrolière pour faire face à une demande galopante en logement et équipements publics. Faute d'une législation rigoureuse et ferme, le recours aux terres arables dans les régions du nord où se concentrent plus de 70% de la population est devenu quasi-systématique. Pour illustrer l'ampleur de l'extension urbaine au détriment des terres agricoles, il suffit de rappeler que la wilaya d'Alger a atteint durant ces cinq décennies d'indépendance un taux d'urbanisation de 94,67%, ce qui a généré une mauvaise gestion du portefeuille foncier, comme cela vient d'être souligné par les deux spécialistes en la matière Atika Belhaï Benazzouz et Nadia Djelal, dans une récente étude intitulée Le foncier vecteur de l'étalement urbain algérois. A cet égard, un aperçu sur la composition du portefeuille foncier agricole n'est pas moins utile. Trois principales catégories de terres nécessitent ainsi d'être citées. La première est celle du foncier relevant de la propriété de l'Etat. Ce sont les terres abandonnées par les colons à leur départ en 1962. En 1965, les autorités de l'époque ont évalué les terres agricoles de ce type à 2 302 280 hectares qui sont généralement les terres les plus fertiles du pays que les colons se sont attribués durant l'ère coloniale. Mises sous la tutelle de l'Etat, ces terres sont attribuées aux agriculteurs, au départ, sous forme de domaines autogérés et, plus tard, avec le régime de la concession moyennant une rémunération symbolique que les exploitants versent à l'Etat annuellement. Avec l'avènement des changements politiques radicaux à la fin des années 1980, lorsque le pays est entré dans l'économie de marché, certains courants et milieux d'affaires ont toujours revendiqué la cession de ces terres aux exploitants, qui n'est autre qu'une privatisation déguisée de ces terres. Mais, les pouvoirs publics s'y sont toujours opposés. Ce n'est qu'en 2010 que ce débat est clos définitivement avec l'adoption du système de concession renouvelable d'une durée de 40 ans seulement. Dédramatiser au lieu d'éradiquer le mal La deuxième catégorie de terres représente la propriété privée ou bien melk. Celle-ci représente dans le paysage agricole algérien la majeure partie de la SAU du pays. Selon le dernier recensement général de l'agriculture, la proportion de la propriété privée atteint 69,25%, avec 5 857 212 hectares. Cependant, les terres du statut privé jouissant d'un titre de propriété ne sont que dans la proportion de 12,89%, avec 1 090 192 ha. Le reste de ces terres est, soit non titré ou dans l'indivision : 847 872 hectares (10,02%) sont des terres n'ayant aucun titre de propriété, 1 294 676 ha (15,31%) sont des terres dans l'indivision, c'est-à-dire qu'elles représentent une propriété collective. Cependant, la part la plus large des terres agricoles privées du pays, qui est de 2 624 472 ha (31,03%), représente les terres qui demeurent dans l'indivision et sans titre de propriété. La troisième et dernière catégorie est celle des terres ayant un statut particulier bien qu'elle est d'une proportion très limitée. On y retrouvera principalement des terres relevant du domaine public de l'Etat, c'est-à-dire des terres exclusivement sous tutelle des pouvoirs publics et exploitées par les organismes spécialisés comme les instituts de recherche, les fermes pilotes et les entreprises publiques du secteur agricole. La superficie globale de ces terres est estimée à 24 323 ha. D'autre part, il y a les terres relevant des biens Wakfs et Habous qui sont des terres dont disposent des confréries religieuses. Les terres Wakfs totalisent 28 877 hectares, dont 24 056 ha sont la propriété privée dont les notables religieux ont hérité de leurs ascendants et 4821 ha appartiennent à des courants religieux mais sont mis sous la tutelle publique. Depuis l'indépendance, le foncier agricole a été soumis à des pressions multiples et n'a pas cessé de faire l'objet de spéculations sous diverses formes. Ce qui a engendré la dégradation d'une importante superficie de la SAU. Les statistiques officielles estiment à moins de 200 000 hectares ayant perdu leur vocation agricole depuis l'indépendance. Lesquelles estimations qui semblent très en-deçà de la réalité, selon de nombreux spécialistes. Ce qui n'est pas moins vrai lorsqu'on se penche de près sur ce que sont devenues actuellement des plaines comme celle de la Mitidja ou d'Annaba qui, durant l'époque coloniale constituaient le joyau de l'agriculture algérienne.