La surface agricole utile (SAU), qui était de l'ordre de 0,20 ha par habitant en 2000, n'en représentera que 0,19 ha en 2010 et 0,17 ha en 2020. Avec une superficie de 238 millions d'hectares, l'Algérie fait partie des pays les plus vastes du globe. Sa surface agricole utile (SAU) atteint à peine les 8,6 millions d'hectares. Elle se réduit comme une peau de chagrin écrasée par le béton au Nord et pernicieusement tapissée du sable de la désertification au Sud. « Le barrage vert est à 100 km d'Alger et bientôt il sera aux portes de la capitale », avertit Hocine Abdelghafour, directeur des études au ministère de l'Agriculture. Mais la désertification est un caprice de Dame Nature difficile à arrêter, il n'en est pas de même pour l'urbanisation qui a déjà englouti, selon des chiffres officiels, plus de 160 000 ha depuis 1962. Mais de l'avis de nombreux spécialistes, ce chiffre est en réalité supérieur de plusieurs centaines de milliers d'hectares. L'utilité publique, raison invoquée par les pouvoirs publics pour sacrifier des terres arables, a souvent prévalu sur la vocation agricole. « La SAU est déjà limitée et elle est consommée pour les routes, les usines, l'habitat, alors que la population est en train de croître. L'Algérie est très vaste, mais il n'y a que 8 millions d'hectares qui sont consacrés à l'agriculture et seule une petite partie a un grand potentiel », note ce cadre supérieur du ministère de l'Agriculture. Le Conseil national économique et social (CNES) avait déjà tiré la sonnette d'alarme dans un de ses rapports en 2005. Selon les statistiques du CNES, la SAU qui était de l'ordre de 0,20 ha par habitant en 2000 n'en représentera que 0,19 ha en 2010 et 0,17 ha en 2020. La Mitidja, qui compte les périmètres irrigués les plus performants du pays, risque de perdre quelque 20 000 à 25 000 ha durant les 20 prochaines années, selon le CNES. Le département de Saïd Barkat est impuissant devant l'utilisation des terres agricoles à d'autres fins. Les arguments des autorités ne convainquent pas tout le monde. « Il faut penser à protéger la SAU. Quand on a des plaines très fertiles dans la Mitidja, il faut beaucoup réfléchir avant de la céder pour la construction d'une usine ou la réalisation d'une route. Il faut orienter ces projets vers des terres à moindre potentiel », souligne M. Abdelghafour. Les opérations d'expropriation des terres agricoles prennent parfois des tournures dramatiques. « On a rasé 1000 ha d'agrumes à Khenchela un mois avant maturation pour faire passer une route. Ne pouvait-on pas attendre un mois ? », s'insurge M. Mesli, ancien ministre de l'Agriculture. De nombreux spécialistes placent la question du foncier au cœur de la politique agricole. « Une politique agricole qui n'arrête pas le gaspillage et la dilapidation des terres sera forcément inefficace », professe M. Mesli. Il faut dire que les terres épargnées par l'urbanisation et la désertification n'en sont pas moins embourbées dans d'innombrables problèmes. Il est ainsi des terres du domaine privé de l'Etat qui ont été divisées en exploitations agricoles collectives et individuelles à la faveur de la loi 87-19. Selon le SG de l'UNPA, Mohamed Alioui, cette loi n'a jamais été appliquée sur le terrain. « La loi 87-19 évoque des exploitations agricoles collectives, alors qu'en réalité, elles ont été divisées. Certains bénéficiaires ont loué leurs parts. D'autres ont carrément vendu, car il n'y a pas de contrôle », dit-il. M. Mesli abonde dans le même sens. « Il est impensable de croire appliquer toute formule nouvelle en un laps de temps court. Vingt ans après l'application de la loi 87-19, il y a toujours des terres qui n'ont pas été attribuées et des agriculteurs qui n'ont pas de titres », confie-t-il. La concession suscite des appréhensions Le débat sur le foncier agricole a de tout temps déchaîné les passions. Le gouvernement a montré peu d'empressement pour trancher cette question. Ce peu de volonté politique est dû à une fuite en avant, les autorités ne voulant pas faire exploser au grand jour une véritable bombe à retardement. L'échéance d'adoption de la concession comme mode de gestion des EAC et EAI a été à maintes reprises reportée. Pourtant, cela fait des années que le gouvernement, sous l'impulsion du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, a opté pour cette formule. Le ministère de l'Agriculture communique peu sur cette question, distillant les détails sur ce mode de gestion au compte-gouttes. Dans un tel contexte, le choix des pouvoirs publics suscite des appréhensions. « On veut aller vers la concession des terres. Fondamentalement, ce n'est pas une mauvaise décision à condition que le propriétaire et le repreneur soient liés par un contrat. Lequel contrat doit être synallagmatique stipulant les droits et les obligations de chacun. Si la concession n'est pas cela, alors il en sera de la concession comme il fut de l'autogestion et de la révolution agraire et probablement de la loi 87-19 », estime M. Mesli. Pour lui, l'Etat doit dissocier son statut de propriétaire de sa qualité de puissance publique. « Il faut des règles qui protègent la terre et le repreneur qui doit se sentir assuré et rassuré », relève-t-il. M. Mesli plaide aussi pour le respect des spécificités des différentes filières du secteur agricole. « Peut-on appliquer la concession à tout le monde ? Peut-on mettre l'éleveur, le céréalier ou l'agriculteur maraîcher dans le même moule ? Sachant qu'il y a des EAC et des EAI qui se portent bien. Pourquoi leur demander de changer de statut s'ils satisfassent leurs obligations envers le Trésor public et la communauté nationale en travaillant bien la terre ? Il y a d'autres solutions qu'il faut imaginer et oser, telle la location ou la vente, mais au prix réel et non pas une opération ‘‘biens vacants bis'', qui conduira à la spéculation », explique-t-il. Un autre phénomène menace la pérennité des terres agricoles. Il s'agit du morcellement. Dans quelques années, la taille des exploitations ne dépassera pas le demi-hectare. Selon le dernier recensement général de l'agriculture, 70% des terres agricoles ont une superficie de moins de 10 ha. M. Mesli lie cette question aux choix économiques stratégiques du pays. « Avant d'aller au remembrement, il faut savoir quel type d'agriculture on veut bâtir. Une agriculture capitalistique qui implique de grandes exploitations ou une agriculture de type familial. Il faut répondre à ces questions », souligne-t-il.