Les dernières mesures de grâce permettront à près de 5000 détenus condamnés définitivement de quitter les prisons progressivement et non pas individuellement. Un millier d'autres bénéficieront d'une remise de peine. L'exécution se fera graduellement, dans les jours à venir. Sont exclus de ces mesures les détenus récidivistes ou impliqués dans des affaires de terrorisme, de drogue, de contrebande, d'homicide, de corruption, de dilapidation, de détournement de deniers publics, de délits économiques et de violences sur ascendants. Adossés au talus faisant face à la prison Serkadji, à Alger, femmes et hommes scrutent, des heures durant, la porte de sortie de l'établissement. Ils espèrent voir leurs proches quitter définitivement les geôles en vertu de la grâce présidentielle décrétée à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indépendance du pays. Le même décor est planté à travers de nombreux autres établissements pénitentiaires à travers le pays. Ce qui a suscité un climat de tension. Pourtant qui connaît mieux que les détenus les procédures pénales et les lois, en général, et les conditions pour bénéficier des mesures de grâce ? Les deux décrets présidentiels rendus publics le 4 juillet dernier sont très explicites et ne diffèrent guère des précédentes dispositions : «A l'occasion de la célébration du 50e anniversaire de l'indépendance nationale et conformément aux prérogatives qui lui sont conférées en vertu de l'article 77-9 de la Constitution, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a promulgué deux décrets présidentiels portant respectivement sur des mesures de grâce collective au profit de personnes détenues et non détenues condamnées définitivement (…) ainsi que les détenus condamnés définitivement ayant suivi un enseignement ou une formation professionnelle et subi avec succès, durant leur incarcération, les examens des cycles moyen, secondaire et universitaire et les différents modes de formation professionnelle.» Toutefois, le communiqué de la Présidence précise : «Ne bénéficient pas de ces mesures les détenus condamnés pour des faits en relation avec ceux mentionnés dans l'ordonnance portant mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, ainsi que les détenus condamnés pour avoir commis ou tenté de commettre certains faits énumérés limitativement, notamment les faits de terrorisme.» Des sources judiciaires expliquent que «contrairement aux idées reçues», les mesures de grâce présidentielle obéissent à des procédures spécifiques. «Le ministère de la Justice ne prépare pas de liste de personnes bénéficiaires. Il n'intervient qu'en aval. Le décret présidentiel définit les conditions pour bénéficier de la grâce et le ministère, grâce au système informatique, élabore la liste de ceux qui remplissent ces mêmes conditions. C'est une règle générale appliquée à tous ceux qui y ont droit», révèle une source proche du département de la grâce au ministère de la Justice. Notre interlocuteur indique que les deux décrets promulgués à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indépendance «n'ont rien de particulier» ; ils sont similaires aux précédents. «Ils concernent les détenus primaires (non récidivistes) condamnés définitivement pour des délits mineurs et ceux ayant obtenu avec succès leur bac, brevet d'enseignement moyen, leur sixième, ou leur diplôme de formation professionnelle», souligne notre interlocuteur, précisant «comme à chaque mesure de grâce», plusieurs catégories de détenus sont exclues de la disposition. «Il s'agit de ceux impliqués dans des affaires de terrorisme, de drogue, de contrebande, d'homicide, de corruption, de dilapidation de deniers publics et de délits liés aux affaires économiques ou de violence contre ascendants. Ceux qui en bénéficient ne représentent qu'une infime partie de la population carcérale condamnée définitivement. Ce sont en général des détenus jugés pour la première fois et pour des délits mineurs», explique notre interlocuteur. Selon lui, il est pratiquement très difficile d'avoir tout de suite le nombre exact des bénéficiaires de ces dispositions dans la mesure où l'opération de tri, qui se fait grâce à une application informatique, prend en général une semaine à dix jours durant lesquels la mise en libération se fera progressivement. «Il n'y aura pas d'élargissement massif, comme certains le pensent. Cela se fera graduellement jusqu'à ce que tous les détenus remplissant les conditions bénéficient de la mesure. Il faut préciser également que le détenu doit être condamné définitivement à la date du 5 juillet. Si à cette date, il y a eu un arrêt le concernant et que le parquet ou une des parties au procès a fait un pourvoi en cassation, il ne peut ouvrir droit, mais si l'arrêt n'est pas suivi de pourvoi, il peut être gracié», note notre source. Pour ce qui est du nombre des détenus concernés par la grâce, notre source indique qu'il est possible d'avoir «une estimation avec une marge plus ou moins réduite d'erreur. Nous savons que le nombre de ceux qui quitteront la prison sera compris entre 4500 et 5000 détenus au maximum. Ceux qui verront leur peine réduite ne dépasseront pas un millier». Parmi ces derniers, ajoute-t-il, se trouvent généralement les détenus ayant obtenu de bons résultats dans leur cursus professionnel ou d'enseignement. Selon lui, ils sont 937 à avoir décroché leur baccalauréat et 1875 à avoir obtenu leur brevet d'enseignement moyen, sans compter ceux qui ont réussi le passage de la sixième année primaire. «Parmi ces lauréats, nombreux sont ceux qui verront leur peine réduite ou bénéficieront d'une liberté s'ils ont purgé les deux tiers de leur sentence», indique notre interlocuteur. En tout état de cause, conclut-il, c'est l'évènement du cinquantième anniversaire de l'indépendance qui a donné un cachet particulier aux mesures de grâce, alors qu'elles ne différent pas de celles qui les ont précédées. «Tous les hommes de loi, avocats, magistrats ou autres connaissent ces procédures et savent que les grâces obéissent à des conditions précises définies par la loi. Les détenus ont eu des informations erronées selon lesquelles les prisons allaient se vider à l'occasion du 5 Juillet, vu qu'il s'agit du cinquantième anniversaire. C'est normal que les détenus espèrent en bénéficier. Mais la réalité a suscité le désenchantement chez certains et la colère chez d'autres. Une colère qui n'a eu aucun incident sur le climat régnant au sein des établissements pénitentiaires. Dans de nombreuses prisons, il y a eu des cérémonies de commémoration de la fête d'indépendance et certaines ont coïncidé avec celles organisées en l'honneur des lauréats du bac, du BEM et de la 6e. Il y avait une ambiance festive», conclut notre source. Des propos qui contredisent les rumeurs sur les tensions à l'intérieur des prisons qui ont fait la une de la presse nationale. Celles-ci étaient confortées par des révélations d'avocats qui ont même annoncé d'éventuelles grèves de la faim de certains détenus, pour protester contre le fait qu'ils ne soient pas concernés par la grâce. Une information que notre source du ministère de la Justice a démentie catégoriquement : «Le climat au sein des établissements est serein. Les détenus ont été informés des conditions à remplir pour bénéficier de la grâce. Ce qui a calmé un peu les esprits…» Mais entre les déclarations rassurantes des uns et les propos alarmants des autres, la vérité sur l'intérieur des prisons est difficile à cerner ou à connaître.