En 1919, un jeune écrivain français encore quasiment inconnu, Pierre Benoit, publie son deuxième roman, L'Atlantide. Le livre connaît presque immédiatement un triomphe retentissant. Pierre Benoit, la trentaine à peine dépassée, - il est né à Albi en 1886 - inaugure ainsi une extraordinaire carrière littéraire qui ne prendra fin qu'avec son décès en 1962, année où l'Algérie accède à l'indépendance. L'Algérie est un pays que Pierre Benoit connaît bien. Son père, militaire de carrière, officier de la coloniale, y a longuement servi. Pierre Benoit a passé toute son enfance, et son adolescence, dans cette Afrique du Nord solaire magnifiée par les récits de son propre père, le colonel Benoit et toutes les histoires dont résonnaient les cercles militaires. Au début du XXe siècle, les récits tournaient encore autour de la mort de Flatters, officier colonial, dont l'armée française avait fait un symbole. Lorsque Pierre Benoit sera en âge d'écrire, il se souviendra de ces conversations de mess d'officiers auxquels il donnera une dimension fantastique. Son roman, L'Atlantide, est en grande partie peut-être né des réminiscences de son enfance associées à une fixation sur l'image hugolienne de son père, héros bien évidemment à ses yeux. Lorsqu'il achève ce roman, la France est sortie de la Première Guerre mondiale et les écrivains se donnent la mission d'offrir du rêve pour oublier les terribles années 1914-1918. Pierre Benoit est de ceux-là, et avec L'Atlantide, il propose aux lecteurs les ingrédients d'un récit qui combine la passion torride, les grands espaces vierges du Tassili algérien, et un psychodrame fondamentalement judéo-chrétien dans son inspiration. La figure centrale de L'Atlantide est Antinéa, femme fatale, séductrice dont les amants tombés sous son charme vénéneux se suicident ou se transforment en assassins. C'est le cas du capitaine de Saint-Avit qui, manipulé par Antinéa, a tué son supérieur le capitaine de Saint-Avit pour une mission de recherche dans le Tassili qui n'est en fait que le prétexte sur lequel il a bondi pour revoir la sulfureuse Antinéa. Le capitaine de Saint-Avit est accompagné dans cette expédition par le jeune lieutenant Ferrière et par un guide targui qui se trouve être celui qui a tué le colonel Flatters. Presque mécaniquement, Ferrière et Saint-Avit vont s'opposer à l'amour d'Antinéa comme auparavant s'étaient opposés Morhange et de Saint-Avit. Pierre Benoit utilise à fond le registre de l'érotisation outrée de la femme inaccessible que son mystère rend perverse. Morhange, de Saint-Avit, Ferrière, se condamnent pour ainsi dire à l'amour. Le romancier, lui, a systématisé un fantasme colonial qu'il a formalisé dans une îcone où se retrouvent Lou Salomé, l'égérie de Nieztche, la Loulou de G.W. Pabst et d'une certaine manière Mata Hari. L'Atlantide reste à cet égard figé dans la convention coloniale dans sa représentation, après Delacroix et son tableau Femmes d'Alger dans leur appartement, de la femme algérienne. Une représentation racoleuse qui a dégénéré dans une industrie suspecte de la carte postale au caractère pornographique dans laquelle la femme autochtone était mise à nu. Cette nudité capiteuse est au cœur du roman de Pierre Benoit qui fait d'Antinéa le symbole sexuel qui abîme des officiers que sa beauté a rendus immatures. L'Atlantide est dans une large mesure un tableau clinique du syndrome de l'auto-flagellation. Antinéa punit ceux qui l'aiment, elle les dévore selon la figure de la mante religieuse, et si elles survivent au châtiment, ses victimes s'auto-punissent en tuant ou en se tuant. Pierre Benoit sera récompensé du grand prix du roman de l'Académie française pour L'Atlantide. Le livre, s'il a intéressé le cinéma, - Jacques Feyder l'avait porté à l'écran - n'a pas résisté au temps. Il est difficile de croire que son héroïne, reine dont le royaume est confiné aux limites d'une alcôve, déclinée comme la fille de Neptune, ait d'autre lien que fantasmagorique avec Tin Hinan, dont le Hoggar continue de vénérer la mémoire. C'est de l'historicité de Tin Hinan, personnalité emblématique du Grand Sud algérien, dont les experts font remonter l'existence, à Abalessa, entre les IVe et Ve siècles avant J.-C., dont la littérature devra rendre compte. Avec le devoir de respect de sa mémoire qui est loin d'être la ligne dominante du roman de Pierre Benoit. Mais il ne s'agit plus de la même histoire.