Dalila Dalléas Bouzar ne prend pas le train en marche. Elle veut partir du début. D'où le titre de son dernier ouvrage, Algérie, année 0 ou quand commence la mémoire, paru dernièrement à Alger aux éditions Barzakh. Le 0 n'est pas la valeur mathématique qui a changé la face du monde. Non, il est le symbole d'un certain commencement. «A venir ou en train de se faire», précise cette artiste peintre dans la préface du livre. Et d'ajouter : «Est venu le temps de se souvenir. Se souvenir pour se reconstruire. Pour être ensemble aussi.» Dalila Dalléas Bouzar a constaté que peu d'images existent sur la guerre de Libération nationale et sur «la décennie noire». «Il me semble que ces deux périodes sont fondatrices de l'Algérie contemporaine», a-t-elle noté. Les violences des années 1990 ont été, pour elle, un électrochoc. D'où l'effort fait sur la mémoire. Mémoire perçue comme «un fluide en circulation». D'après cette vision, les troubles naissent du blocage de cette circulation. Retrouver la mémoire paraît comme un moyen de libérer les énergies. Dalila Dalléas Bouzar a repris les images de ces deux périodes et les a redessinées. Sa quête est de se «détacher» de la violence. Dalila Dalléas Bouzar a demandé à Cloé Korman, Anissa Bouayed, Kamel Daoud, Frédéric Dalléas, Hassan Remaoun et Bonaventure Soh Bejeng Ndikung d'écrire des textes pour accompagner les dessins et les peintures. Une étoile rouge voyage à travers tous les dessins comme pour rappeler un certain «idéal» révolutionnaire. Les titres de ses œuvres résument quelque peu l'état d'esprit de l'artiste : Les enfants du soleil ; Bentalha ; Amirouche ; Bleu, blanc, rouge ; Soldat des forces spéciales ; Baiser mortel et Boudiaf, l'instant avant la mort. Ce dernier dessin reprend l'image de Mohamed Boudiaf tournant la tête après avoir entendu le bruit du déclenchement d'une grenade que son assassin devait lancer un certain 29 juin 1992 à Annaba… «Plus elle s'est efforcée de scruter son passé, plus son histoire lui a semblé sombre et morose. Plus elle s'est documentée sur l'histoire de ses deux pays (Algérie et France, ndlr), notamment sur celle de son pays d'origine, plus elle y a repéré des lacunes la rendant incompréhensible», relève le Camerounais Bonaventure Soh Bejeng Ndikung à propos de l'entreprise menée par Dalila Dalléas Bouzar. Soh Bejeng Ndikung est directeur de Savvy à Berlin, un espace destiné à l'art contemporain africain. De son côté, l'historien Hassan Remaoun note que les œuvres de Dalila Dalléas Bouzar forcent la méditation du fait qu'elles évoquent l'avenir, la vie collective, la mémoire du corps social et les repères historiques. Réalisé sous forme de catalogue d'art et publié en français et en anglais, Algérie, année 0 ou quand commence la mémoire permet de partager les tourments et les espoirs d'une artiste peintre qui ne cesse de s'interroger sur elle-même, son pays, son histoire, les oublis, les trahisons, les échecs… Bref, sur l'Algérie que certains ont voulu, malgré sa grandeur, figer dans «le zéro» pour mieux profiter de l'argent du pétrole, des terres fertiles et de toutes les autres richesses. Et ce n'est pas un discours ! Les adeptes du «zéro» savent que la violence, le mensonge, l'amnésie, les manipulations sont les meilleurs alliés.