Le mercredi, le territoire était déclaré propriété exclusive de la gent féminine. L'explication : sa triple sacralisation. D'abord, le mausolée Sidi Abelkader, assis sur le rocher où est creusé le tunnel d'accès à la promenade ; ensuite, les eaux sacrées du môle, et pour terminer, Tâouint n'cida : traduction de la source de la sainte dame. Le pèlerinage, comme le veut la croyance, vaut aux vieilles filles un coup de pouce divin pour rompre le célibat. Les lieux recèlent aussi une charge historique et une autre charge légendaire. Les premières attaques en 1515 sont menées conjointement par l'alliance d'Ahmed Belkadi et des frères Barberousse pour reprendre la ville aux Espagnols. Une croyance raconte aussi que le cloître de Sidi Abdelkader avait à l'origine pour pensionnaire Yemma Gouraya. Mais les attaques incessantes de conquérants font réagir les cieux. Il était inélégant et peu noble de laisser une dame faire face aux assaillants. Une voix céleste ordonna donc à Sidi Abdelkader, installé au sommet du mont Gouraya, de descendre sur le môle et d'échanger ses quartiers avec la sainte patronne de la ville. Pardi, c'est à un homme de croiser le fer avec l'ennemi ! De plus, n'est-ce pas à l'autre bout de la jetée, sur la colline surplombant le port pétrolier, Sidi Yahia qui lègue protection aux lieux. Aujourd'hui, tout çà paraît loin. Aujourd'hui, tout cela paraît loin. La légende s'estompe et laisse place à une autre attraction. Comme il s'est fait depuis fort longtemps dans les autres villes côtières de la Méditerranée, c'est l'aménagement du front de mer en promenade en 2009 par l'EPB, l'entreprise du port de Béjaïa. La reconfiguration a conjugué la féerie naturelle de l'endroit aux commodités infrastructurelles agrémentant une sortie. Une large allée, rendue possible en repoussant le plan d'eau. Des snacks, des terrasses, des pizzerias et autres échoppes de souvenirs. Seule promenade en bord de mer et de surcroît à deux pas de la ville, l'affluence est record. C'est incontournable dans le carnet de bord d'une foule de flâneurs venant de toutes les contrées de la région, en mal de détente et de distraction. Mis à part les camions de Naftal, venant s'approvisionner en carburant dans le terminal pétrolier, l'accès est interdit aux véhicules. Correct, il faut se promener à pied. L'entreprise portuaire a tout de même aménagé un parking gardé d'une capacité de 200 places, à une centaine de mètres, avant de parvenir au tunnel. Et là, chapeau bas, on ne vous réclamera que la modique somme de 30 DA, alors qu'en contrepartie, vous pouvez y laisser votre véhicule jusqu'à 7 h du matin. A comparer avec les 100 DA dont on vous déleste sur les plages, et en garant sur des terrains qui n'ont de parking que le nom. Revenons à l'ambiance qui emplit les 400-500 m de la promenade. D'abord, dans le tunnel mal éclairé, et attention aussi où vous mettez les pieds, nids-de-poule et crevasses sont à l'accueil. Cette atmosphère de pénombre est le décor planté pour quelques joyeux lurons afin d'exercer leurs dons vocaux. La promenade est noire de monde. Pour un deuxième jour du Ramadhan, il n'y a pas un seul rocher de la digue qui ne soit occupé, les terrasses des snacks aussi. Beaucoup de familles. Omar, venu en famille d'El Kseur, est ravi. Seule la douloureuse note consentie pour régler les glaces consommées par sa progéniture dans une belle terrasse lui restera quelque peu en travers de la gorge. Mais, allez, c'est un instant de bonheur qui vaut le sacrifice. Un aspect biscornu par rapport à la féerie, pas de clameurs, pas d'éclats de voix ni de rires lâchés. L'humeur est plutôt tempérée. Cela s'explique sans doute par l'envie, tout court, de se remettre d'une âpre journée de jeûne. La température douce de la soirée s'y prête également. Et l'éclairage, faible ici et là, en rajoute à cette allure de somnolence. Un regain d'intensité de l'éclairage sortirait les lieux de leur engourdissement. Beaucoup attendent les galas organisés ici par le comité des fêtes de la ville pour récréer un peu plus la promenade. A signaler la tranquillité qui prévaut. Les rondes discrètes des agents de l'ordre public sont évidemment pour quelque chose. La fin de la promenade est en chantier, une rallonge du boulevard d'une centaine de mètres, en voie, visiblement, d'achèvement. On pourra déambuler alors jusqu'au bassin où autrefois les Bougiotes venaient chez M. Laurent apprendre leurs premières brasses. On y effectuait jadis aussi le concours de recrutement des maîtres-nageurs.