«En une génération, nous voyagions sur des chameaux, puis sur des Cadillac. De cette façon, nous gaspillions de l'argent. Je crains que les prochaines générations voyageront encore sur des chameaux». Roi Fayçal d'Arabie Saoudite. Ce n'est pas tout le monde qui connaît l'histoire de Nauru. Un petit pays insulaire de la Micronésie dans le Pacifique Sud, d'une superficie de 21 km2 et peuplé de 9200 habitants. C'est la plus petite République dans le monde. Jadis, les Nauruans exploitaient la végétation luxuriante qui couvrait l'île tropicale et avaient un mode de vie inférieur, semblable à celui des populations reculées de la Nouvelle-Guinée. Il y a une centaine d'années, les colons allemands, puis australiens, exploitaient le phosphate de très haute qualité qui se trouvait dans le plateau qui surélève l'île à 60 m au-dessus de la mer. Après l'indépendance, en 1968, l'extraction de cette ressource naturelle, très convoitée dans le monde, s'est accélérée. En 1974, Nauru était le deuxième pays le plus riche au monde, après l'Arabie Saoudite, en termes de PIB par habitant (50 000 dollars), grâce à la rente phosphatière. Ainsi, le mode de vie de la population a totalement changé, pour égaler celui des Occidentaux. Avec une consommation excessive d'aliments riches en calories, Nauru est le pays qui compte le plus d'obèses et de diabétiques parmi ses habitants (45% de la population). Les produits de luxe importés de partout à travers le monde, principalement d'Australie, ont transformé l'île en un lieu de plaisance par excellence. Les Nauruans, insouciants, refusaient de travailler et préféraient l'importation de la main-d'œuvre chinoise. Toutefois, l'aubaine n'a pas trop duré. Vers la fin des années quatre-vingts, l'épuisement des gisements de phosphate est devenu prévisible. En 1999, une chute brutale des exportations de phosphate est enregistrée, pour se réduire à néant en 2003. Avec un environnement saccagé, des ressources naturelles épuisées, une population malade pour avoir trop consommé et des produits de subsistance difficilement importés, Nauru est devenue, actuellement, une île loin de tout, avec un mode de vie encore inférieur à celui qu'elle avait il y a une centaine d'années. Plus de 90% de la population est en chômage. Cette petite histoire est la traduction réelle de la méfiance du roi Fayçal pendant les années soixante. Même s'il s'agit de l'exemple d'une économie miniature, le déroulement de l'exploitation du phosphate de Nauru peut servir de leçon pour tout pays, dont les ressources naturelles épuisables et non renouvelables constituent la principale source de financement de l'économie. Le problème qu'a vécu Nauru est, peut-être, né de l'absence d'activités économiques extra-minières, qui devaient prendre en charge l'économie avant la découverte du phosphate. Ceci est concevable, car la découverte du pétrole, en 1859 aux Etats-Unis, est venue booster le développement industriel américain déjà en marche. Ajoutons à ce cas de figure les exemples de la Norvège, des Pays-Bas et du Royaume-Uni qui exploitent les hydrocarbures de la mer du Nord. Cependant, vu l'absence de stratégie adéquate, prenant en compte les spécificités propres de la société, la rente pétrolière n'a pas contribuer au développement des pays arabes riches en hydrocarbures. En fait, depuis des décennies, ces pays exploitent leurs ressources naturelles sans que le développement soit réalisé. L'Algérie est un pays qui exploite ses hydrocarbures depuis une cinquantaine d'années, mais sans que les secteurs hors hydrocarbures puissent prendre en charge les besoins de l'économie. La faiblesse de ces secteurs fait que le PIB hors hydrocarbures par tête ne soit que de 2700 dollars au lieu de 4400 dollars, si on fait référence aux résultats du secteur des hydrocarbures. Ainsi, le mode de vie que mènent les agents économiques algériens est biaisé par la rente d'une ressource épuisable et non renouvelable. En effet, les réserves d'hydrocarbures sont à essoufflement. Le pompage est en pleine capacité, ce qui veut dire que les coûts sont de plus en plus élevés et que les profits diminuent. L'une des caractéristiques de la politique pétrolière de l'Algérie est d'intensifier ses extractions en matière d'hydrocarbures. Celle-ci est parrainée, d'une part, par la nécessité de booster l'économie nationale à l'aide de la rente tirée de la commercialisation des hydrocarbures à l'étranger, d'autre part, par la volonté de s'imposer sur la scène européenne, vu la quasi inexistence d'exportations hors hydrocarbures. A cet effet, les règles qui régissent le domaine pétrolier ont été reformulées plusieurs fois, en : 1983, 1986, 1991 et 2005. Cette dernière reformulation a suscité un débat depuis son lancement comme un projet de loi en 2002. En l'occurrence, pour plusieurs analystes, la loi 05-07 était un moyen de dénationalisation du domaine pétrolier algérien après qu'il fut nationalisé en 1971. L'amendement de la loi par ordonnance présidentielle a empêché l'accélération certaine de la dépossession de l'Algérie de sa principale source de richesse et donc une accélération du tarissement des gisements d'hydrocarbures. A cause de cet amendement, les compagnies pétrolières, qui étaient prêtes à prendre des parts importantes dans l'exploitation du domaine pétrolier algérien, allant jusqu'à 100%, sont devenues réticentes à investir dans le pays. Cette accélération des extractions que le pays veut mobiliser n'explique en rien le souci de la préservation, d'une partie des richesses, en tant que telles, pour les générations futures. La majorité des quantités extraites sont stockées sous forme financière. Cette politique satisfait les clients du pays et surtout les compagnies multinationales opératrices sur le sol algérien. Abstraction faite de l'hypothèse de l'ingérence des grandes puissances, deux raisons peuvent être avancées dans le but de persuader la décision publique de réduire le rythme des extractions : d'un point de vue financier, puisque les prix pétroliers ont une tendance haussière, il est plus profitable d'épargner les hydrocarbures en leur état naturel dans les cavités souterraines que de les déposer dans des fonds ou de les posséder en bons du Trésor qui subissent l'inflation. La création de la rente de rareté soutient cette idée. Ce qui est remarquable, en parallèle, c'est que l'on demande aux pays rentiers de ne pas injecter les rentes accumulées dans leurs économies respectives, afin de ne pas provoquer l'apparition des symptômes du syndrome hollandais. A qui profiteront, dans ce cas, les hydrocarbures bruts et les recettes des hydrocarbures ? D'un point de vue économique, l'épargne des hydrocarbures en leur état naturel permet des utilisations futures plus «utiles» et plus «économes», car n'oublions pas que dans le cas de l'installation d'une base industrielle, celle-ci aura besoin d'inputs qui proviennent de la nature. Dans ces conditions, l'un des préceptes de l'économie des ressources naturelles, qui consiste à épargner une partie des ressources épuisables et non renouvelables au profit des générations futures peut être suivi. Dans ce cadrage d'idées, il est opportun de signaler que les exigences du développement durable contiennent des idées antinomiques. D'une part, elles appellent à abandonner le mode de consommation actuel afin d'opter pour un autre mode de consommation, de l'autre, elles appellent à réduire les extractions des ressources naturelles. Ainsi, on se demande si l'adoption d'un nouveau mode de consommation ne créera-t-elle pas d'immenses décharges publiques et, par conséquent, l'adoption d'un nouveau mode production n'accélérera-t-elle pas les extractions des ressources naturelles.