Musiques traditionnelles, savantes ou rythmes du monde, la musique nous accompagne tous les jours et nous influence considérablement. Mouloud Ounnoughène traduit ce langage sonore et son impact sur nos «instances psychiques». -Vous venez d'écrire un livre passionnant sur l'influence de la musique sur le comportement humain. Comment un assemblage sonore peut-il influencer les mécanismes biologiques d'un humain ? La musique est une entité dynamique qui présente une puissance immanente. Depuis la nuit des temps, on lui attribuait des vertus psychothérapeutiques. La musique est un composite de construction complexe. Elle présente un mode qui construit, en partie, la valence émotionnelle. S'il est de coutume de dire que le mode majeur est lié à la joie et le mineur à la mélancolie, ceci n'est pas parfaitement juste, car on omet les autres éléments, à savoir l'harmonie avec ses intervalles de tons, le rythme, le tempo et les nuances. La musique est un langage qui nous interpelle, elle secoue nos instances psychiques et libère les torrents d'émotion en immersion. C'est un révélateur d'émotions enfouies. Le plaisir esthétique et la sensation de bien-être se manifestent par la sécrétion, par l'organisme, d'hormones euphorisantes dites endorphines, la partie du cerveau qui se charge de donner une tonalité au message sensoriel musical s'appelle le système limbique. Cette teinte affective dépend du stock mnésique et des expériences acquises. -Dans votre livre, vous évoquez le «traumatisme sonore». A quel point y sommes-nous exposés ? Très souvent, de par nos tempéraments, que cela soit dans nos traditions d'écoute (plutôt consommation de musique !) ou au cours de discussions banales, nous avons tendance à parler haut : le seuil «décibel» est élevé ! Lors des fêtes de mariage par exemple ou lors de concerts, on est exposés à une forte intensité sonore. Plus il y a du baroud, mieux c'est ! Exposée longtemps sans protection, notre audition peut s'altérer de façon définitive, le seuil alarmant se situe autour des 110 décibels (110 DB correspond à l'intensité moyenne produite par un marteau-piqueur). Afin d'éviter les lésions irréversibles des cellules ciliées de notre oreille interne, il est nécessaire de se tenir à distance des enceintes d'amplification ou de sonorisation, respecter l'entr'acte ou la pause lors des spectacles, ne pas hésiter à mettre des bouchons incrustés dans le conduit auditif externe. -Peut-on dire que le choix de la musique qu'on écoute modifie notre comportement ? Pouvez-vous nous donner des exemples ou des comparaisons ? A l'audition de certaines musiques, on peut spontanément aimer ; c'est que notre état d'âme actuel s'acclimate et les absorbe aisément. Il y a une sorte d'identification, c'est le cas par exemple des musiques d'ambiance qui accompagnent nos fêtes. Les musiques populaires et folkloriques, par leur communicabilité et leur spontanéité, constituent un véritable ciment social. Dans les stades, l'euphorie et la gaîté sont contagieuses, elles se transmettent par les chants des supporters… La musique peut aussi être structurante, en faisant appel à des évocations ou à des suggestions personnelles : quand on écoute un achoueq interprété avec un ney, cela renvoie souvent à des clichés de montagnes et de réverbération. La musique libère notre esprit d'un monde rationnel et cartésien. -Les musiques et rythmes du monde sont à nouveau à la mode, surtout les musiques savantes. Y a-t-il des particularités dans ce genre de musiques que l'on ne trouve pas dans les styles contemporains ? Je pense que nous traversons une époque dans laquelle nous vivons une crise de création artistique, avec souvent un assèchement de l'inspiration. Que cela soit l'auditeur, le musicien ou le professionnel de l'édition, tous sont avides de sonorités novatrices. On zappe perpétuellement à la recherche du sensationnel, à la construction de trocs d'esthétique, ceci souvent aux dépens de musiques traditionnelles. Aujourd'hui, il est illusoire de parler de musique actuelle sans évoquer le métissage. On assiste, en vain, à la mode «world music», d'ailleurs ce terme est devenu un four-tout ambigu. Il y a eu effectivement les concepts de «tribal sound», de «world beat». Peter Gabriel fonde le label «real world» ; le principe était séduisant, car le but est d'intégrer dans la scène planétaire des musiques oubliées de l'uniformisation globalisante. Mais voilà, le marketing n'a pas suivi, on retombe alors dans la planétarisation de la musique. -Quel style musical peut détendre le corps humain ? Y a-t-il des sons ou des mélodies qui ont un effet particulier sur le corps ? Il n'y a pas d'ordonnance type ! Tout est question de rations. L'alchimie de la musique réside dans le dosage de ses ingrédients. Alphonse Allais disait que l'harmonie un peu en excès amène l'homme à un état d'hébétude et de gâtisme tout à fait folâtre. Les habitudes d'écoute, l'éducation musicale, la culture de tout un chacun façonnent très tôt le cerveau de l'individu. Un jazz syncopé peut aussi bien émouvoir un auditeur que le laisser indifférent. Il en est de même que pour une nouba. Habib Touma fait écouter des maqam à des musiciens arabes et d'autres nationalités et recueille les schémas affectifs qui en découlent ; le maqam saba évoque, pour la majorité de ces personnes, des sentiments de tristesse et de nostalgie. Dans la gamme de la musique symphonique, le canon de Pachelbel ou l'adagio du concerto de l'empereur de Beethoven diminuent anxiété et angoisse de par leur tempo lent et leur douce harmonie. Il y a à peine quelques mois, un laboratoire teste, en collaboration avec la British Academy of Sound Therapy, un morceau : weightless, ou en apesanteur, du groupe Marconi Union qui travaille sur des fusions jazz, dub et musique électronique. On constate que cet opus réduirait une part importante de l'anxiété des personnes testées, on se rend compte que cette partition comporte un fond de synthé créant une ambiance aquatique sur une basse lourde et grave mimant une mini-transe. -La musicothérapie est-elle une voie qui amènerait à la guérison de certaines maladies ? Les domaines d'application de la musique sont larges. Elle devrait largement trouver sa place entre autres dans les services de pédiatrie, de néonatologie, de cancérologie, de réanimation et d'unités de la douleur. La musique dissèque les souvenirs, explore le passé. Par sa robustesse neuronale, elle induit des réminiscences, aussi, chez le patient atteint de la maladie d'Alzheimer et malgré son atrophie corticale, ses capacités musicales semblent conservées. La musicothérapie améliore la cognition de ces patients. Les techniques de relaxation sous induction musicale améliore les états de stress et d'angoisse et agit favorablement sur l'insomnie. Dans le cadre de musicothérapie dite active, la musique facilite la communication entre un enfant autiste et un adulte, ceci au moyen par exemple d'un instrument de percussion.