L'interview donnée par l'athlète Zahra Bouras à El Watan Week-End, édition du vendredi 3 août 2012, est, il faut le reconnaître, un bel acte de communication. Cette interview a été conçue et traitée «en aparté». Ambiance soft, sérénité totale, comme sur un nuage. Un brin surréaliste... Bien vu de la part de l'entourage de Zahra. Il faut certes la protéger, mais tout cela m'a l'air un peu court. La part de toute chose devrait être faite et nul ne devrait pouvoir s'abriter derrière l'athlète ; ni l'athlète se réfugier derrière quiconque ou seulement s'ériger en victime. Elle l'est certainement aussi quelque part, mais a tout de même des responsabilités qu'elle aurait tort de négliger. Ce n'est plus, à ce niveau, un monde de bisounours. L'entretien n'est paru ni en page sportive ni en rubrique médicale. J'en suis fort aise, car ce fléau qu'est le dopage ne mérite ni l'une ni l'autre. Et pourtant… Rétrospective. Trois athlètes, et non des moindres, ont été, depuis le début de cette année des jeux des XXXes Olympiades, déclarés positifs à un seul et même produit interdit, le stanozolol, stéroïde anabolisant synthétique dérivé de la testostérone. Un rapide coup d'œil sur l'une des encyclopédies du Net vous permettra de confirmer que le stanozolol est utilisé chez l'homme pour le traitement de diverses affections, y compris héréditaires. Il est également utilisé chez l'animal pour stimuler le développement musculaire, la production de globules rouges et la densité des os. Le stanozolol est bien sûr interdit, lors des compétitions sportives, depuis bien longtemps. Il fut notamment utilisé par l'athlète Ben Johnson lors des Jeux olympiques de Séoul, il y a près d'un quart de siècle… Quel triste souvenir et encore plus triste référence. Tour à tour, en l'espace de quelques semaines, les athlètes Réda-Arezki Megdoud (saut en longueur), Larbi Bouraâda (décathlon) et Zahra Bouras (800 m) ont été contrôlés positifs à ce même produit. Un tir groupé qui fait désordre. Le décor étant planté, revenons à l'interview… Zahra Bouras : «Quand une fille de mon âge a un dérèglement de cycle de cinq mois, un dérèglement hormonal, une forte pilosité, de l'acné, ajoutez à cela des problèmes de foie, de reins et qu'elle apprend que le produit qui lui a été injecté par voie intraveineuse pouvait provoquer un dessèchement des veines et causer sa mort, je trouve tout à fait normal que je dépose plainte.» Lire cette phrase évoquant des faits aussi graves, en livraison d'un journal national des plus sérieux, durant les Jeux olympiques, me laisse sans voix. Mais alors là, apprendre aussi qu'une de nos sportives les plus prometteuses, propre fille d'un entraîneur d'athlétisme de niveau mondial, ne bénéficiait probablement pas des conseils et de la protection déontologique d'un staff médical de haut niveau, me sidère. De simples «tests réalisés en France… », élude-t-elle. Mystère. Si l'on rajoute que son ex-entraîneur faisait aussi fonction de «médecin, diététicien et masseur» et «injectait» (lui-même ?) des «produits» aux effets secondaires dangereux. Là, carrément, j'hallucine !... J'ai beaucoup de peine à comprendre. Moi, voyez-vous, j'aime bien qu'on m'explique clairement les choses, car les choses bien comprises s'énoncent clairement, n'est-ce pas ? Je suis depuis de longues années habitué aux footballeurs, souvent raillés en raison de leur niveau intellectuel plutôt moyen, qui pourtant me bombardent de questions à la vue d'un simple comprimé d'aspirine. Comment alors puis-je accepter tranquillement le fait qu'une jeune fille bien de chez nous, coquette et talentueuse, diplômée de deux instituts, championne d'Afrique du 800 m, en route pour une finale olympique, continue de se faire injecter des produits qui, de son propre aveu, ont pourri sa santé et lui ont fait pousser des boutons et des poils (signes de désordre hormonal), sans s'inquiéter outre mesure ? Mes respectables confrères de son club ou de la FAA sont-ils ou se sentent-ils concernés ? Sont-ils ou se tiennent-ils informés ? Ou bien s'agit-il là d'exercice illégal de la médecine ?… D'autres affaires du même acabit ne sont pas encore tout à fait effacées des mémoires, et l'athlétisme algérien nous remet ça et de manière exponentielle. N'avons-nous donc pas profité des erreurs du passé ? Quelle analyse sereine et responsable à faire de ce qui pour moi est un véritable drame ? Je voudrais tout d'abord juste évoquer, peut-être pour mieux et plus vite l'écarter, l'option d'une intention isolée de dopage au sein d'un même groupe. Pour certains, en effet, sans qu'aucune vraie accusation ni qu'aucune vraie preuve ne soient par ailleurs avancées, l'intention dopante ne ferait aucun doute. Ce serait gravissime. Je n'ose même pas évoquer les conséquences désastreuses sur l'athlétisme algérien dans son ensemble. Cela ne peut se concevoir. Prions tous en ce mois sacré que ce ne soit le cas. Qu'à Dieu ne plaise… Mais alors quoi ? Nos athlètes seraient-ils victimes d'une série d'erreurs de plusieurs laboratoires ? D'une mauvaise interprétation des paramètres de la part de plusieurs scientifiques expérimentés ? C'est quasiment impossible. Les laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage et leurs équipes techniques sont par essence très performants et du reste soumis eux-mêmes à des contrôles réguliers au bout desquels, en cas d'une défaillance technique même minime, ils risquent de lourdes sanctions allant jusqu'au retrait temporaire ou définitif de leur agrément. Un acte de malveillance, alors ? Le remake douteux d'un «à l'insu de mon plein gré» version athlétisme algérien ? Nous ne pouvons par principe écarter cette option, mais elle nous semble vraiment improbable. Même si une plainte a aussitôt été déposée contre X, pour un hypothétique empoisonnement. La sempiternelle «main étrangère» qui dans ce cas «avait rajouté le stanozolol dans l'injection» a fini par être évoquée lors de cette même interview par Melle Bouras. Ce qui atteste que l'affaire va suivre son cours. Quelle misère, du déballage de linge sale en perspective. Reste enfin la forte suspicion, pour ne pas dire l'occurrence certaine, d'une gestion désastreuse de la préparation de ces athlètes en matière médicale en général, et du point de vue des programmes nutritionnels, en particulier. Il faut noter encore une fois, j'insiste, que notre jeune championne ne donne, malgré une tentative loyale du journaliste, aucune information précise sur sa prise en charge médicale en Algérie ou à l'étranger. Cela peut paraître bizarre tout de même. Les responsables médicaux de son club et/ou de la FAA pourraient certainement nous en dire plus, sans pour autant faillir au respect de l'éthique et à leur devoir de réserve. Dans le cas précis des affaires de nandrolone, stanozolol et autres «douceurs» stéroïdiennes anabolisantes du même genre, ça ne rate jamais : les athlètes mis en cause et/ou leur entourage évoquent très régulièrement la prise (dans notre cas par voie intraveineuse, qui est soumise à un règlement strict du code antidopage) de compléments nutritionnels pour sportifs, vendus parfois sur internet sans mention de leur teneur en stéroïdes sur l'emballage. Cette absence d'information pouvant être intentionnelle, dans le but accroître l'efficacité du produit. Certains la considèrent malencontreuse, évoquant un mauvais nettoyage du matériel entre les préparations, on parle alors de produits «contaminés». Mais cette ficelle semble un peu grosse. Des arguments ? D'abord, ces produits n'ont jamais fait l'unanimité des experts et aucune publication scientifique indépendante n'a jamais clairement établi la preuve de leur efficacité à l'état pur. Je me réfère toujours à propos de ces substances néfastes, au Pr Ronald Maughan, nutritionniste sportif reconnu et respecté, qui affirme : «Si l'un de ces produits est efficace, c'est qu'il est interdit ; S'il n'est pas interdit, alors il est certainement inefficace… !» Ces produits semblent plutôt profiter à ceux qui les conseillent et/ou à ceux qui les vendent. Eh oui, ces «amino-plasmas», contaminés ou non, ne poussent pas sur les arbres. Ils sont nécessairement commandés, facturés, payés, livrés et stockés avant d'être injectés. Quelle est la nature réelle de ces produits ? Quid de leur traçabilité ? Quoi qu'il en soit, l'athlète se retrouve donc trompé, lui et son entourage, parfois même par son entourage, lors du recours à des préparations présentées comme non dopantes, mais qui en réalité peuvent l'être. Tout le beau petit monde du sport d'élite sait parfaitement tout cela et une conclusion aurait dû depuis longtemps s'imposer chez nous : renoncer à la prise de ces produits, souvent inefficaces, toujours trop chers et parfois dangereux, dont on ne sait finalement pas grand-chose et qui échappent par leur statut de compléments nutritionnels aux habituels contrôles de l'industrie pharmaceutique. Il faudra d'ailleurs parler un jour ou l'autre du rôle que devraient jouer, en la matière, ce type d'institution, ainsi que nos experts et chercheurs des universités et des sociétés savantes. Les personnes qui entourent nos athlètes mis en cause ne sont pourtant pas des novices. Ils ont accompagné certains de nos talents jusqu'au plus haut niveau mondial. Peut-être savent-ils même que l'on peut, lorsque l'on insiste à utiliser ces produits, les faire expertiser auprès de laboratoires spécialisés nationaux performants qui existent, afin d'éviter toute mauvaise surprise. Mais plutôt avant de les consommer, n'est-ce pas ? Car après coup, une fois que le mal est fait, que de superbes jeunes athlètes ont été sacrifiés, toutes les tentatives lamentables d'excuser l'inexcusable ne servent plus à rien. Il est de même tout à fait inutile, dérisoire et saugrenu, comme il a pu être proposé çà et là, «d'ouvrir une enquête, en envoyant tous les produits utilisés par l'ensemble de nos athlètes aux laboratoires de Paris et de Cologne afin d'en contrôler l'exacte composition». Et alors ? Que va-t-on en conclure ? Le dopage est, par définition, prouvé par l'analyse de l'échantillon biologique d'un athlète et non par l'analyse d'un produit qui serait identique aux produits que cet athlète consommerait d'habitude. Et quand bien même, comment prouver que ces produits sont identiques aux produits déjà consommés ? Mais enfin, vous imaginez tous les laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage analyser tous les produits consommés par tous les athlètes du monde soupçonnés de dopage, tous sports confondus ? Faudrait-il alors garder précieusement, au cas où, sous scellé et sous contrôle d'huissiers, des petits restes de compléments nutritionnels, et pourquoi pas de repas, de boissons ou de friandises, consommés par tous les athlètes de la planète ? Nous frisons là le ridicule. Soyons sérieux… Ouvrir une enquête, certes. C'est le moment de se pencher sur ces tristes événements et à chacun d'assumer tranquillement ses responsabilités. Et être responsable n'est pas nécessairement être coupable. Alors, c'est quoi cette affaire ? Acte de malveillance, négligence coupable ou amateurisme déliquescent ? Un petit peu des trois, peut-être ? Et si ce n'était finalement que la conséquence au sein de notre sport d'une banalisation rampante de la médiocrité ambiante ?…