Hamadi Redissi est membre de l'American Institute for Maghreb Studies depuis 1999 et membre du conseil de rédaction de la revue Jura Gentium (depuis 2006) et de l'European Journal of Philosophy and Public Debate. Il préside l'Observatoire tunisien de la transition démocratique depuis 2011. Il est aussi un membre fondateur du Centre arabe de recherches et d'analyses, basé à Genève, dont le nom a changé en 2010 en Centre arabe de recherches et d'analyses politiques et sociales (Caraps). - Comment expliquez-vous la réaction du président Marzouki ?
Je pense que les propos de Marzouki sont très réfléchis. Il a constaté que le parti Ennahda baisse dans l'opinion publique. Il a donc fait l'option d'être en phase avec les citoyens et de prendre ses distances. Il ne faut surtout pas ignorer le fait que, malgré tout ce qu'on lui reproche, Marzouki est bien coté dans les sondages. Il a exprimé son soutien aux contestataires de Sidi Bouzid pour montrer qu'il est toujours du côté du peuple, pour garder ses chances dans une éventuelle course pour l'investiture suprême. Il n'empêche que de tels propos constituent un coup dur pour la troïka gouvernante qui subit ainsi une énième fissure. Il est vraiment difficile d'admettre qu'avec de tels accidents de parcours, elle peut parvenir, à terme, c'est-à-dire jusqu'à l'adoption de la nouvelle Constitution et la tenue des prochaines élections, dans au moins huit ou neuf mois, voire plus.
- Vous envisagez donc un rebondissement sur la scène politique …
Oui, en effet. Si l'on évalue le résultat des huit mois passés par la troïka au pouvoir, il y a eu trop de gâchis qui a réduit sa crédibilité auprès de la population, et ce, en rapport précisément avec les agissements de Marzouki. J'insinue notamment la tenue en Tunisie du Conseil national syrien et l'exclusion de l'ambassadeur syrien en Tunisie au début de l'exercice de gouvernance de la troïka, l'extradition en Libye de l'ex-Premier ministre Baghdadi Mahmoudi, la révocation du gouverneur de la Banque centrale Mustapha Kamel Nabli, etc. L'actuelle polémique concrétise toutefois une divergence dans l'évaluation de l'état des lieux et des priorités de l'étape, ce qui est grave pour une alliance gouvernante. Si l'on regarde aussi ses résultats sur les plans social et économique, la troïka est jusqu'à maintenant un grand ratage. Elle ne peut donc se permettre de rester à la merci d'un coup de tête de Marzouki. Je ne saurais écarter une possible reconsidération de l'échiquier politique dans la période à venir, pour mener à terme cette deuxième phase de la transition en Tunisie.
- Une telle éventualité ne risque-t-elle pas de chambarder le calendrier politique ?
Pas vraiment surtout qu'en réalité, il n'y a pas de véritable calendrier politique bien établi. Le chef du gouvernement a juste annoncé la tenue d'élections en mars 2013. Le calendrier réel dépend de l'adoption de la nouvelle Constitution. Or, l'avancement des travaux de rédaction est très lent. Il n'y aura pas de Constitution le 23 octobre 2012, comme initialement programmé par Mustapha Ben Jaafar, le président de l'ANC. Il n'y aura donc pas non plus d'élections en mars 2013, comme annoncé par Hamadi Jebali depuis des mois. L'actuel gouvernement aura à exercer encore pour dix mois, voire plus d'une année. Cette phase de transition est encore dans sa première mi-temps. Le chemin est encore long et Ennahda est dans l'obligation objective de penser à une alternative à Marzouki, plus enclin à prendre option pour l'élection présidentielle.