Plus de 3000 personnes ont traversé le poste frontière de Heddada en une semaine. Les Algériens n'y vont plus pour le shopping. A quelques jours de la rentrée scolaire, des centaines de familles algériennes ont pris d'assaut les postes frontières de la wilaya de Souk Ahras. Destinations privilégiées : Sousse et Nabeul. Ni la chaleur, ni les chaînes interminables qui se forment très tôt le matin au niveau de ces postes, ni la montée de la violence intégriste en Tunisie n'ont réussi à les dissuader. Baignades, soirées musicales, randonnées, animation sportive et culturelle, hôtels de luxe et personnel qualifié pour prestations de service… Toutes les conditions sont réunies pour prouver au visiteur algérien, sur lequel mise le ministère de tutelle du pays voisin, que le tourisme est immuablement ancré dans les réflexes des Tunisiens. Au poste frontière de Heddada, une affluence record a été enregistrée en cette fin du mois d'août. Heddada est une commune frontalière qui n'encourage pas les ressortissants algériens qui prennent la direction de la Tunisie à dépenser leur argent. La léthargie qui caractérise sa rue principale, ses cafés maures aménagés de manière approximative et l'absence d'hôtels ou de toute autre infrastructure d'accueil ne sont pas pour attirer les voyageurs. C'est un lieu de transit où la population locale est plutôt sceptique et peu prolixe à l'égard des journalistes et de toute autre personne non identifiée par un enfant de la région. Il faut rappeler que la contrebande est l'activité principale des habitants de cette contrée et c'est, probablement, pour cela que l'on appréhende la discussion avec les autres. Les sommes importantes engrangées sous forme de droits de passage et de baux communaux n'ont pas réussi à hisser la commune au rang désiré. Au poste frontière, plusieurs dizaines de personnes attendent leur tour devant des agents imperturbables de la police des frontières. Ces derniers, visiblement préparés à ce grand flux, gèrent l'opération avec souplesse. Au fond de la salle d'attente un brouhaha détend l'atmosphère et met tout le monde dans une ambiance de vacances. Un homme d'âge moyen se détache du groupe et engage des familiarités avec tout le monde. C'est lui qui commencera, le premier, à parler de sa destination préférée : Sousse. «C'est là où j'ai l'habitude de passer mes vacances, la propreté des plages, l'accueil dans les hôtels et l'animation… Bref, tout ce dont le touriste a besoin», nous explique-t-il, tout en saluant des douaniers qui étaient de passage. Il étaye : «Vous avez entendu parler de la montée de l'intégrisme et des agressions dont sont victimes des intellectuels tunisiens. Cela reste une affaire interne et ne concerne aucunement les Algériens, sauf si ces derniers s'aventurent dans des quartiers malfamés.» Un jeune homme qui écoutait la conversation fait la réflexion suivante : «De quoi aurions-nous peur, nous qui avons vécu le pire dans les années 1990 ?» Trois autres jeunes de son âge sourient en signe d'approbation et passent de l'autre côté de la chaîne. Ils sont de Constantine, Oum El Bouaghi, Skikda, Sétif, voire des wilayas du centre et de l'ouest du pays à avoir choisi la Tunisie pour des vacances programmées, cette année, dans la précipitation après un mois de jeûne passé dans des conditions éprouvantes, à cause de la grande vague de chaleur qui l'a accompagné et une rentrée sociale qui avance à pas de géants. Faillite du tourisme algérien Ils sont plus de 3000 ressortissants algériens à avoir franchi la frontière par le poste de Heddada en une semaine. Celui de Ouled Moumen est à plus de 400 sorties en direction de la Tunisie et le chiffre est à revoir à la hausse chaque week-end. Toutes les personnes questionnées à ce sujet sont unanimes à reconnaître la qualité du produit touristique proposé de l'autre côté de la frontière et l'absence d'une destination alternative en Algérie. L'insécurité, les mauvaises conditions d'accueil, les limites du parc hôtelier et une foultitude de carences découragent ces aoûtiens à choisir nos côtes. Le témoignage le plus poignant a été fait par un père de famille, de Sétif. «J'étais de passage dans un hôtel classé à Annaba il y a quelques années. Ma petite-fille qui souffrait d'un mal de tête atroce me mit dans l'obligation de sortir la nuit pour acheter une aspirine auprès d'une pharmacie. Un groupe de malfaiteurs m'a pris mon argent sous la menace de sabres. Pis encore, avant de quitter cette ville, un serveur me fit comprendre que d'autres employés qui sont de connivence avec les agresseurs désignent eux-mêmes les proies», avant de renchérir : «Ce qui est en train de se passer actuellement en Tunisie ne concerne aucunement les touristes algériens, qui sont, à mon avis, respectés et considérés comme tels.» Cela n'a pas empêché les hôteliers de Nabeul, Sousse et ceux de toute la banlieue tunisoise de revoir à la hausse les prix des chambres. Celle qui était louée à 600 DT est passée à 1200 TD, voire plus. On arrive même à afficher complet pour toute la semaine avec des tarifs que l'on dit extrêmement élevés comparés à ceux affichés via Internet, ou ceux pratiqués antérieurement par les mêmes établissements. Cette aubaine ne profite malheureusement pas aux wilayas de l'est du pays qui accusent un déficit dramatique en structures touristiques et où l'activité des agences de voyages se limite à l'organisation de la Omra et la vente des billets d'avion. Aucun voyage organisé n'a été lancé cet été, hormis ceux conclus dans le cadre de la sous-traitance avec les grandes agences nationales ou internationales. Fini le temps des emplettes en Tunisie. Les Algériens n'y vont plus pour le shopping comme c'était le cas il y a une décennie. L'image de ce voyageur qui calcule sa maigre allocation touristique sur les prix des effets vestimentaires et les produits consommables fait partie, désormais, d'un passé révolu. Embellie financière avec l'ouverture de mégaprojets dans les secteurs du bâtiment et des routes, augmentation des salaires… Le tout favorise l'émergence d'une classe dépensière et aux revenus excessivement élevés en Algérie. Le tourisme d'affaires y est en vogue et le nombre des ressortissants algériens propriétaires de biens immobiliers va crescendo. Autres temps, autres mœurs Des familles et des couples y vont pour échapper à la torpeur qui caractérise les villes situées à l'intérieur du pays. «Je fuis l'inquisition et les dépenses du mariage», nous confie un jeune qui convole en justes noces. C'est plutôt du côté tunisien que la frénésie des achats s'incruste dans les mœurs. Une famille tunisienne de retour de la commune de Merahna peine à déplacer ses cabas remplis de fripes, d'ustensiles, de produits cosmétiques. Le plus jeune des enfants s'affaire à vider quelques sacs dans d'autres pour faciliter la tâche aux douaniers, alors que sa mère visiblement gênée par la quantité des produits achetés oriente discrètement les trois adolescents. Des centaines de ressortissants tunisiens traversent chaque semaine le poste de Heddada pour s'approvisionner en matières consommables et produits électroménagers sur les marchés algériens. Il en est même pour ceux qui en font une activité lucrative. «L'avantage recherché par les Tunisiens qui viennent souvent est dans les prix de certains articles qui sont revendus de l'autre côté de la frontière avec une marge assez importante pour celui qui sait convertir en marchandise le dinar tunisien», a fait savoir une source responsable exerçant au niveau de la frontière.