Qu'il soit religieux, linguistique, ethnique ou politique, l'intégrisme fascisant a pour premier ennemi l'intelligence et l'humanisme. C'est pour avoir été porteurs de ces deux valeurs cardinales que des enseignants ont toujours figuré dans le collimateur des « chasseurs de lumières ». Les terroristes intégristes de l'OAS ont mis fin à la vie de Mouloud Feraoun, notre célèbre fils du pauvre en plein printemps de la liberté. Il y a de cela 44 ans, s'en allait dans l'Au-delà, celui dont l'œuvre est inconnue en tant qu'éducateur. Il fit ce voyage sanglant en compagnie de cinq de ses collègues éducateurs - comme lui - et farouches défenseurs de la dignité humaine. Leurs noms méritent de passer à la postérité : Max Marchand, Marcel Basset, Robert Aymard, Ali Hammoutène et Salah Ould Aoudia. Le meilleur hommage est donc de porter à la connaissance de l'opinion publique des traits marquant de l'œuvre pédagogique de cet écrivain de renom et néanmoins instituteur de vocation et normalien de formation. Celui qui disait que « le métier d'instituteur est le plus beau au monde » a laissé derrière lui des enfants. C'est un des témoignages de son fils Ali et publié par le défunt magazine Parcours Maghrébins que nous reproduisons ici. Il est fort instructif. Feraoun le père de famille : « Dans la famille, il suivait de près la scolarité de ses enfants. Il s'était mis à apprendre le latin pour l'enseigner à ma sœur lorsqu'elle suivait les cours de 6e par correspondance. A moi, il a enseigné l'arabe classique et plus tard l'arabe dialectal puisqu'il me fallait apprendre une seconde langue au lycée. » Feraoun l'enseignant : « Ses élèves pour lesquels il servait d'exemple avaient pour lui une grande admiration. Il entretenait avec eux des rapports amicaux. Ils s'attroupaient souvent autour de lui pour discuter de questions communes ou domestiques. Il donnait des conseils et chaque fois que quelqu'un avait des problèmes, il le lui soumettait pour avoir de lui un avis ou une aide morale. L'animation de l'école, il la faisait également autour de la coopérative scolaire. Les élèves étaient organisés en équipes au sein desquelles ils activaient. Il y avait l'équipe des Aigles, celle des Hirondelles et d'autres. Les activités tournaient essentiellement autour de deux ateliers : celui du jardinage et celui du journal scolaire dont le titre était La source. Nous le fabriquions avec la pâte à imprimer et il était envoyé aux élèves d'une école primaire de Berrouaghia. Ces derniers nous envoyaient le leur dénommé Aux pays des asphodèles. On faisait aussi de la correspondance scolaire avec les élèves de Berrouaghia et ceux d'une école de Courcelles, en France. Le moment de la distribution des lettres était très attendu. Le facteur arrivait à 10 h avec une grosse enveloppe et on devinait que c'était les lettres. Dans les écoles où il était passé (Taboudrist, Taourirt Moussa, Fort national et Nador) il animait la vie scolaire des élèves : club de football, foyer rural, conférences débats, projections de films, bibliothèque itinérante etc. Il enseignait le français, la morale, l'histoire, le calcul et le dessin. Feraoun le chef d'établissement : A Fort national, il était directeur d'école et de CEM. Il était cordial avec les enseignants. Il entrait souvent dans la classe d'un jeune maître pour lui donner des conseils et corriger sa méthode. Notre famille a toujours gardé de bonnes relations avec eux.