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Le choc? Un piège!
CARICATURES DU PROPHÈTE
Publié dans L'Expression le 12 - 02 - 2006

Par ces caricatures grotesques, il ne s'agit pas de la liberté d'expression, acquis universel.Il s'agit de l'amalgame entre Islam et terrorisme.
Une nouvelle forme d'agression psychologique, de propagande fondée sur la provocation, un piége aux visées politiques. L'affaire des caricatures danoises, en soi vulgaire, et les surenchères et théories fumeuses des tenants du choc des civilisations des deux côtés, en sont le reflet. Le sentiment légitime de réprobation, s'il verse dans la violence, n'est pas la solution, il tombe dans un piège. Il y a lieu pacifiquement de se plaindre de ces dépassements au niveau de l'opinion internationale et des instances professionnelles et juridiques. Sans donner l'occasion aux ennemis de la paix et de la religion de généraliser la haine. Par ces caricatures grotesques, il ne s'agit pas de la liberté d'expression, acquis universel. Nul ne peut ignorer les balises morales et le droit, sinon, c'est la jungle. Il ne s'agit pas, non plus, de question de figuration de symboles sacrés.
Pas même du rapport entre les lois universelles des hommes et les lois religieuses, les premières restant la référence commune. Il s'agit de l'amalgame entre Islam et terrorisme, encore plus choquant lorsqu'il vise la référence fondatrice, qui est au coeur de la conviction de tant de peuples. Dérive, comme fonds de commerce infect, avec la hargne obsessionnelle à l'encontre de l'autre différent, en l'occurrence l'Islam, ce méconnu. La republication par d'autres médias européens, cela pue l'argent et c'est de l'islamophobie caractérisée, une campagne outrancière, un acte de provocation, même si certains le font, soi-disant, par solidarité corporatiste ou lutte anti-intégriste.
Pourquoi le droit d'insulter des croyances de centaines de millions de gens, plus encore avec des visées malveillantes et meurtrières inavouées, devrait-il être prioritaire sur le droit à voir les symboles et valeurs de ces croyances respectés?
La culture de la résistance
L'attitude honorable, unanime et louable de la presse en Algérie, sans exception, par-delà sa diversité et ses nuances, bien connue pour ses positions courageuses face au terrorisme intégriste, et les positions objectives de certains responsables et personnalités en Occident, croyants et non-croyants, et non des moindres, du président Chirac, au président Clinton, en passant par le Pape, qui dénoncent cette dérive, montrent qu'il s'agit ni de problème de figuration du sacré, sujet que l'on peut discuter, ni d'humour, thème que l'on peut admettre, mais d'un acte délibéré de stigmatisation, avec intention de nuire. Là est le vrai problème. Un acte répréhensible sur tous les plans, politique, culturel et éthique.
Ce type d'acte a, comme résultat, le dopage de l´intégrisme, le rejet face au model moderne et européen des libertés perverties et l'installation d'une crise entre les deux rives de la Méditerranée, vu l'amalgame injuste. Dénoncer cet état de fait, ce n'est ni du « surréalisme », ni de la susceptibilité mal placée, ni une réaction intempestive de la part de croyants musulmans retardés. Certes, il a pu y avoir d'autres affaires d'injures, de pratiques de deux poids, deux mesures, et d'attaques par le passé, à l'encontre de nos valeurs et des questions de décolonisation sont en panne, mais celle-ci est la goutte qui déborde le vase, le symbole des symboles d'une frange de l'humanité accusée de crimes.
Sous couvert de la liberté d´expression, noble valeur trahie et travestie, certains s´inventent de nouveaux ennemis, diversion, sur le dos de symboles qui dépassent ce que des étrangers, ou plutôt des incultes, ou pire des pyromanes peuvent imaginer. La haine est vouée à l´échec. Tout comme sont vouées à l´échec la tentative de récupération de la légitime indignation populaire et la violence aveugle, par ceux-là mêmes, qui, hier, défiguraient l'image de l'Islam par leurs pratiques inhumaines commises au nom de la religion. Tout cela est condamnable. Ils nuisent à ce qu'elles croient défendre.
Par-delà les débordements qu'il y a lieu absolument d'éviter, il faut saluer le fait que la conscience musulmane a ressurgi, vivante et fière, malgré les épreuves, les humiliations, les répressions qu'elle subit sur le plan mondial et parfois sur le plan interne. Conscience qui n'est pas dupe des risques de déceptions, de déviations et d'exploitation. La conscience musulmane peut subir mais ne rompt pas.
Avec elle, les quatre cinquièmes de l´humanité refusent le modèle des puissants agresseurs, arrogants, provocateurs, et refusent aussi les actes désespérés et anarchiques des extrémistes politico-religieux. Leur haine et aveuglement, à tous, racistes néocoloniaux et extrémistes ne peuvent cacher le piège. Ne leur donnons pas l´occasion de créer des diversions. Il nous faut prendre attache avec les forces qui dans le monde s´opposent à l'amalgame, à la mondialisation du vulgaire, du sectarisme et de la perversion des libertés, mais aussi à l'instrumentalisation de la religion. Résistons par les moyens civilisés, légitimes et pacifiques. En premier lieu, en prenant la parole de manière réfléchie, en dialoguant avec les forces, dans le monde, soucieuses de droit, d´équité et de paix. Des médias, par l´insulte, par la propagande du choc, tentent de brouiller les cartes face aux dérives de l´ordre mondial. Le piège se refermera sur eux si nous savons résister en profondeur, en coordination avec d´autres mouvements.
Leurs attaques répétées et leur théorie du choc ont pour visée d'empêcher toute jonction, toute coordination, tout lien entre nous et les forces, à travers le monde, qui sont attachées au droit, au droit à la différence, à la justice, en somme aux valeurs universelles de la démocratie. Notre culture de la résistance, nos références fondatrices ouvertes sur la marche du temps, notre histoire fondée sur le principe cardinal de la dignité, notre attachement à un sens de la vie qui ne démissionne pas facilement face aux chants des sirènes ou face aux pressions, et notre position géopolitique, nos richesses, par-delà nos faiblesses bien connues, font de nous des dissidents que l'on redoute ou des réfractaires, au modèle dominant, qu'il faut, disent-ils, isoler. Même si nous sommes agressés, de plus en plus, par la propagande islamophobe et que nous subissons les contradictions du désordre mondial doublement, une fois comme les autres peuples et une deuxième fois, en tant que musulmans, pour les prétextes invoqués, il ne faut pas s'enfermer dans le sentiment de la victime éplorée et de la communauté assiégée. Nos contradictions internes apportent de l'eau au moulin aux ennemis de la paix et du rapprochement entre les peuples.
Premièrement, l'islamisme, qui est l'anti-Islam, a fait des dégâts immenses en pratiquant le terrorisme, sous prétexte de s'opposer au terrorisme des puissances, bien réel, des impérialistes et des sionistes. L'intégrisme parle au nom de l'Islam, c'est une usurpation, une escroquerie qui fait le jeu des racistes et néocoloniaux, qui l'ont souvent favorisé et manipulé. Certains font semblant d'ignorer que les plus nombreuses victimes de cette monstruosité sont les musulmans eux-mêmes.
Les défis
En Algérie, on sait cela pour l'avoir combattu et vaincu, victoire contre l'obscurantisme criminel obtenue grâce au fait, d'abord, que l'on n'a pas confondu entre islamisme et Islam et encore moins entre terrorisme et Islam. Et hier, notre combat anticolonial n'a pas confondu entre l'Etat colonial et le christianisme.
Deuxièmement, les régimes arabes, par-delà leur caractère hétérogène, et des efforts pour certains, comme dans notre pays, de se reformer, pour la plupart, sont archaïques, illégitimes et autoritaires. Ils donnent une image négative de notre réalité. Troisièmement, le courant arabe dit «moderniste», qui, malgré sa ligne de s'opposer aux forces rétrogrades, ne représente pas réellement le peuple, qui, lui, recherche et la modernité et l'authenticité. Ces «modernistes» sont soumis à l'imitation, à l'occidentalisation effrénée et à la dépersonnalisation. Les défis de fond, dont cette crise est l'épiphénomène, nous interpellent. Si on pratique la fuite en avant, le report perpétuel des réponses, que nos peuples attendent, mais aussi nos alliés sincères, si nous laissons les extrêmes de tout bord, les opportunistes et escrocs, de le religion et de la politique occuper le terrain, nous aurons à subir encore des agressions. Les défis de fond sont de trois ordres:
- Premièrement, comment édifier, de l'intérieur, une société responsable, c´est-à-dire démocratique et de concrétiser un modèle qui ne soit ni une démocratie de façade (qui fait illusion et réduit les libertés et par conséquent nos capacités de résistance face aux agressions de toutes natures) ni une démocratie-anarchie (qui affaiblit l'autorité de l'Etat, l'unité et la stabilité du pays)? C'est le défi politique, car on ne peut pas mobiliser un peuple face aux défis, s'il ne participe pas à son devenir.
- Le deuxième est économique. Comment intégrer pleinement les règles, bien comprises, de l'économie de marché et s'ouvrir à la mondialisation, sans sacrifier le principe de la justice sociale et en préservant les richesses du pays?
- Le troisième défi est d'ordre culturel. Comment préserver l'identité, sans la figer, ni au contraire la diluer dans des normes de sous-cultures marchandes et aliénantes? Ce sont des problèmes qui concernent tous les peuples, mais la plupart des religions, cultures et doctrines ont démissionné, abdiqué, malgré la profusion des revendications sociales et identitaires et la collusion entre des idéologies et des églises. La religion, en ces temps modernes, de par la primauté nécessaire donnée à la raison, à l'autonomie de l'individu et la séparation entre le religieux et le politique, est «sortie» à jamais de la vie et de la cité, dit-on en Occident.
Mais, sans l'éthique et la justice, la liberté est amputée. Est préoccupant le fait que la possibilité de faire l'histoire, d'être peuple souverain, indépendant sont des droits remis en question. Nos actions avec nos alliés sur le plan international doivent tenter de refondre les relations entre les peuples sur la base du droit, à commencer par le droit à la différence sans contradiction avec l'universel et non de la loi du plus fort et du chantage des extrémistes. Sur le plan interne, il nous reste à travailler, éduquer, cultiver, enseigner des valeurs du savoir et des connaissances qui permettent la formation d'un citoyen responsable. Le monde musulman est à la croisée des chemins. L'Algérie, de par ses atouts aujourd'hui, peut être à l'avant-garde.


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