De retour à la vie publique, après une période de convalescence, le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni est revenu, ces derniers jours, sur les récentes libérations des détenus concernés par la mise en application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. D'abord, pour baliser le semblant de débat sur cette démarche politique. « Chacun a le droit de donner son point de vue, l'essentiel est que la charte soit respectée », a-t-il dit lors de la cérémonie d'installation du wali de Aïn Témouchent. Le seul problème est que la charte, au-delà de tout ce qui peut être dit sur les retombées positives ou négatives de son application, a quadrillé le débat et même l'interrogation sur le passé récent de l'Algérie. Puisque toute tentative de discuter « le fond » peut être qualifiée d'acte « d'utilisation ou d'instrumentalisation des blessures de la tragédie nationale » et peut mener en prison. Qui osera donner un point de vue dans un pays où l'histoire des années de feu a été mise entre parenthèses et où la pensée unique a pris de nouvelles couleurs ? Au-delà de cet aspect, Zerhouni convoque la justice pour statuer sur une question d'une grande sensibilité : l'action politique que revendique, aujourd'hui, Ali Benhadj après son élargissement. « C'est au juge de décider », a-t-il répondu à un journaliste qui l'interrogeait sur « les droits politique » de ce chef de l'ex-Fis. Enigmatique, cette réponse ouvre la voie à toutes les lectures. D'abord, la justice, elle-même, est mise à mal à cause du processus du pardon-oubli consacré par la charte du 29 septembre 2005. Cette justice est sommée de n'accepter aucune plainte qui met en cause les agents de l'Etat ou autre. Compte tenu de cette situation, les discours sur la supposée indépendance de l'appareil de la justice perd toute crédibilité. Ensuite, quelle puissance peut avoir un juge qui peut ordonner « la reprise » politique d'un chef d'un parti dissous ? Sur quels instruments va-t-il se baser ? Quels seront ses référants juridiques, si tant est qu'il en existe ? Le ministre de l'Intérieur n'a fourni aucune explication. M. Zerhouni, pour rappel, avait justifié, il y a de cela quelque temps, l'interdiction du parti Wafa d'Ahmed Taleb Ibrahimi par la présence de militants du FIS dans la liste des membres fondateurs de ce parti. Aujourd'hui, à suivre l'évolution des choses, cet argumentaire n'a plus de sens. Mais, il n'y a aucune chance de voir le parti Wafa autorisé à activer, autant que le Front démocratique de Sid Ahmed Ghozali ou l'UDR de Amara Benyounès... Le constat depuis 1999 est que les partis, quelle que soit la tendance, ne sont plus agréés. Comme si la Constitution avait été, dans certains aspects, suspendue. Aucune explication n'est donnée à cet interdit. Autant que le maintien de l'état d'urgence, contraire, lui aussi, à la Constitution. Comment peut-on admettre que le terrorisme ait été vaincu, que la paix ait été instaurée et qu'on maintienne le dispositif policier de l'état d'urgence qui met l'Algérie dans une position instable par rapport aux conventions internationales ? La charte, qui s'est imposée à une scène politique vidée de toute substance, n'est pas porteuse d'ouverture démocratique. Comme elle n'offre aucun ressort pour permettre une protection plus intense des droits de la personne ou une chance plus grande aux libertés publiques. Fatalement, il y a une vie après la charte. Dans cet esprit, l'intrusion de Ali Benhadj dans l'espace public semble cacher une stratégie plus élaborée sur ce qu'on veut faire du pays dans les prochaines années. Des échéances électorales approchent. Des choix vont être faits. Raviver des rancœurs, susciter les sentiments de peur et combler le vide par les jeux d'ombres risque de faire entrer l'Algérie dans un couloir à l'issue incertaine. Ali Benhadj est un homme du passé. Il symbolise un certain traumatisme suscité en grande partie par le régime qui, à un moment donné, a décidé de ne donner aucune chance à la démocratisation de l'Algérie. En 2006, le constat est tout de même effarant : le projet de construction démocratique dans le pays n'a gagné aucune brique en 14 ans autant que l'idée politique défendue par des animateurs de l'ex-FIS. Comme si l'Algérie, par le fait de forces hostiles, « avance » en arrière. Pourtant, le pays, dont les caisses débordent d'argent, a une chance historique pour décoller. Pour cela, il a besoin de neutraliser, ou à défaut, de contourner les vents contraires. Et de mettre fin à la comédie !