Impliqué depuis toujours dans tout ce qui l'entoure, le journaliste-écrivain algérien Hamid Skif évoque, dans son dernier livre, les mirages amers des immigrés clandestins. Sa Géographie du danger (éditions Naïves, France 2005) est un long et lancinant voyage dans le monde des expatriés des frontières étatiques. Dans l'ouvrage, l'histoire du résident de l'exil commence comme toutes les histoires qui finissent mal. Elle débute par un passeur insaisissable et se termine par des menottes invariables. En conteur avisé, Skif installe son récit de l'échec entre ces deux moments d'une vie cassée par cette ininterrompue de l'ailleurs. Sous sa plume, l'actualité s'installe d'emblée sur l'imaginaire pour dire les douleurs de tous ceux qui ont buté sur les faux rêves. Les rôles que met en mouvement l'auteur de La Citrouille fêlée sont des personnages minés, désagrégés dès le départ, malchanceux à la naissance, parce que le destin ne les a pas fait naître du bon côté et parce qu'ils ont tenté de forcer ce même destin, défavorable sous tous les cieux. Les héros malheureux de Hamid Skif sont des héros de l'attente. C'est elle qui meuble leur temps, et c'est elle qui les mène droit à l'impasse dans ces chambres de bonnes sans issue et ses liaisons équivoques. Ils se parlent en solitaires et s'épient en étrangers, en continu et sans témoins, n'étaient leurs souvenirs impuissants. Le style d'écriture adopté par l'écrivain algérien qui vit en famille, depuis quelques années à Hambourg (Allemagne), grâce à une bourse d'écriture, est un style fluide, proche de la langue française de tous les jours. Dans ses nuances, son humour et ses tournures populaires, le parler des personnages marginaux du roman est assez souvent emprunté à l'humus de naissance de l'auteur (Hamid Skif est fils de M'dina Jdida, l'inénarrable quartier populaire d'Oran). L'évolution du récit est une évolution qui se fait également par des allers-retours fréquents entre passé et présent de ce résident sans nom qui se jauge (et se juge sévèrement) entre quatre murs et mille reproches. Son monde extérieur est une devinette adaptée à l'humeur du jour, avant d'être un monde concret. Le Harrag sans pays et sans papier, que nous montre Skif, est déchu de tout ce qui peut s'apparenter à la citoyenneté. Il est une ombre égarée dans un pays sans étoile, une cible policière, un hasard rigide. Un accident sans témoin. Skif ne se lamente pas dessus. Il plaint la condition de ce non-être, l'absurdité de son statut. Sa révolte, portée essentiellement par l'entre les lignes, est dirigée contre tous les érigeurs de frontières et autres soldats plomb des barbelés de la séparation. Tous ceux qui pensent juguler une envie par une loi. Armé de sa seule subjectivité, Hamid a su dire tout cela. Avec l'ironie des désabusés et le détachement des gens lucides, lui, le Harrag chanceux, l'avocat, par effraction de tous les clandestins qui lui ressemblent, dans leur peau et leur origine.