Outre la cherté des matières premières, les artisans pâtissent du manque de soutien des pouvoirs publics dans ce créneau d'activité et l'inexistence d'un réseau de distribution pour la commercialisation de leurs produits à travers le pays. Ne me laissez pas mourir !». C'est avec ce slogan révélateur du sort du célèbre bijou d'Ath Yenni qu'a été organisée la dernière édition de la fête annuelle dédiée à l'orfèvrerie. Art traditionnel séculaire, la bijouterie en argent faisait vivre, dans un passé récent, des centaines de familles. Aujourd'hui, le métier dépérit inexorablement. Les maîtres artisans activant encore dans le fief de la transformation de ce métal, comme Ath Larbaâ, Ath Lahcène et Taourirt Mimoun ne sont plus qu'une cinquantaine, alors qu'ils étaient près de 500 durant les années 1970. Un ancien bijoutier de la région exerçant au chef-lieu de wilaya fait cas du recensement, actuellement, de 29 artisans bijoutiers à Beni Yenni contre pas moins de 396 durant les années 1990. La cherté des matières premières et les charges imposables, l'absence d'une activité touristique digne de ce nom sont les principaux facteurs mis en avant pour expliquer le recul sensible du nombre d'artisans bijoutiers à Tizi Ouzou, dont l'effectif est estimé, en 2012, à quelque 370 sujets immatriculés. Le coût approximatif de l'argent brut est de plus de 130 000 DA le kilogramme, au moment où le cours du corail, autre matière première de base dans la confection du bijou berbère, est vendu à 150 000 DA/kg sur le marché parallèle. Le manque de soutien des pouvoirs publics à ce créneau d'activité et les retombées de la concurrence déloyale des produits d'importation sont parmi les autres causes ayant contribué à la «faillite» des artisans, qui ont du mal à survivre à la crise qui affecte cette filière. Conséquence : les principaux centres de production dans la wilaya, Beni Yenni (7 villages), qui regroupe près de 50% des effectifs, Tizi Ouzou, Boghni, Mekla, Taguemount-Oukerouche tournent au ralenti, quand ils ne sont pas carrément fermés. Il faut dire qu'avec le déclin de ce métier, c'est l'une des ressources économiques vitales de cette localité de Haute Kabylie, véritable pépinière d'artisans dans la wilaya, qui se tarit. Pour booster la fabrication de ce produit artisanal local, de nouvelles mesures incitatives ont été introduites par l'Etat en faveur des artisans bijoutiers. Il s'agit notamment de la réduction des charges et taxes imposables. Déclin Le tissage, jadis incontournable dans tous les foyers de Kabylie, connaît, au même titre que la bijouterie, une régression et une dévaluation au niveau de la qualité. En cause, le remplacement des colorants végétaux par la teinture chimique et la laine par la fibre synthétique, ainsi que l'indisponibilité ou l'insuffisance de matières premières. La tapisserie traditionnelle de Aït Hichem (Aïn El Hammam) n'est plus ce qu'elle était. Quelques tisseuses seulement continuent à perpétuer la tradition, qui veut que chaque maison possède son «azzeta» (métier à tisser). Un festival du tapis ayant pour mission de développer et de promouvoir ce patrimoine culturel y est organisé chaque année. Des artisans d'autres régions du pays viennent y exposer des produits de leur terroir. Par l'organisation annuelle de la fête du tapis, ses initiateurs entendent inciter les jeunes filles du village de la région à emprunter la voie de leurs aïeules pour sauvegarder ce métier. Pour ce faire, les organisateurs exhortent les autorités concernées à soutenir les artisanes, en les dotant en moyens matériels adéquats. «La matière première coûte trop cher. Nous n'avons pas les moyens financiers nécessaires pour nous approvisionner en grande quantité. Aussi, la bonne laine se fait rare. Parfois, il faut faire la commande chez des revendeurs à Sétif, Bordj Bou Arréridj ou ailleurs. La confection d'un tapis de 2m sur 2m nécessite au moins trente jours à une tisseuse chevronnée», confie une apprentie sur métier à tisser. Les artisanes se plaignent aussi de la mévente de leur produit. «Je travaille dans la confection du tapis traditionnel chez moi, mais avec la cherté de la laine et de ses dérivés, j'arrive difficilement à m'en sortir. Je mets un mois pour la confection d'un tapis de 4m que je dois vendre à 40 000DA et plus de la moitié de ce prix est absorbée par le prix de la matière première», relève une tisserande de la commune d'Ath Zmenzer. La poterie, la vannerie, le travail de bois, la tamiserie et la sellerie, la broderie et autres robes kabyles sont logés à la même enseigne en matière de repli de l'activité. Devant l'avancée des nouvelles matières premières (aluminium et PVC), la production de la poterie a considérablement chuté au point où la poterie en terre cuite est passée du stade de l'utilitaire au stade décoratif. «Nous n'écoulons nos articles que pendant la saison estivale avec l'arrivée massive des émigrés qui constituent notre principale clientèle. Il n'y a plus de touristes étrangers comme avant», fait remarquer un vendeur d'objets traditionnels installé à la maison de l'artisanat de Tizi Ouzou. Aides insuffisantes Selon le directeur du tourisme et de l'artisanat, Rachid Ghedouchi, la wilaya de Tizi Ouzou comptait au 31 décembre 2011, 8359 artisans inscrits. L'un des grands problèmes auxquels ils sont confrontés, dit-il, est l'inexistence d'un réseau de distribution pour la commercialisation de leurs produits à travers le pays. «Les artisans attendent impatiemment les fêtes locales et autres salons pour proposer leurs articles, cela reste insuffisant. Certains potiers disposent d'un véritable musée de marchandises chez eux, mais ils n'arrivent pas à trouver des points de vente. Pour remédier à cette situation pénalisante, nous avons proposé l'inscription de quatre centres artisanaux au niveau des daïras à fort potentiel, ainsi que l'aménagement de sites pour la commercialisation de produits artisanaux au niveau du barrage de Taksebt», ajoute M. Ghedouchi. En outre, il a indiqué que 88 artisans ont bénéficié, en 2010, d'un cycle de formation dans le cadre de la création et la gestion des entreprises. Le nombre d'emplois créés en 2011 dans ce secteur d'activité est de 1852 postes, dont 684 au profit des femmes. Depuis 2003, 96 subventions ont été accordées dans le cadre du programme de développement rural (PPDRI). Ainsi, 612 locaux commerciaux destinés aux artisans, répartis sur 38 communes de la wilaya, ont été attribués en 2011. A la faveur de la mise en œuvre des dispositifs de soutien à l'emploi, près de 4500 micro-projets ayant généré près de7000 emplois ont été créés dans la wilaya de Tizi Ouzou, entre 2005 et fin 2010. La majorité des bénéficiaires de ces prêts, exonérés d'intérêts, se comptent dans les rangs des femmes au foyer, telles que les tapissières, les potières, les couturières et autres artisanes, en butte à des difficultés de financement pour l'approvisionnement en matières premières.