Le discours du ministre de la Justice, notamment le passage ayant trait à la corruption, prononcé devant les membres du Conseil supérieur de la magistrature, a suscité des interrogations. Magistrats et syndicats, partagés entre scepticisme et optimisme, estiment que le secteur a besoin d'une volonté politique forte, seule porteuse de changement. Le discours du ministre de la Justice devant les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) suscite chez certains juges l'optimisme et chez d'autres l'appréhension. De nombreux magistrats avec lesquels nous nous sommes entretenus estiment, que le garde des Sceaux, Mohamed Charfi, a plutôt dressé «un tableau noir de la situation héritée de son prédécesseur et qui rend sa mission extrêmement difficile et complexe». Raison pour laquelle, soulignent-ils, «il sera très difficile de croire à un possible changement dans l'immédiat». Ils estiment, en outre, que le ministre «a certes exprimé sa volonté de lutter contre la corruption, mais pourra-t-il vraiment pouvoir marcher sur ce terrain miné ? Nous n'en savons rien. Combien de fois avons-nous entendu des ministres, des chefs de gouvernement et même le président de la République parler de la lutte contre la corruption et de la protection des juges ? Pourtant, la situation n'a fait que s'aggraver.» L'ex-ministre, Tayeb Belaïz, avait «accueilli les magistrats avec des kalachnikovs lorsqu'ils sont venus le voir pour dénoncer les pressions et les ingérences de certains directeurs et autres responsables dans l'exercice de leur fonction. Bon nombre d'entre eux ont été sanctionnés, mutés d'office ou dégradés juste parce qu'ils ont dit non à une injonction». Comment peut-on croire à une réelle volonté de lutter contre la corruption lorsqu'on voit qu'un voleur de téléphone portable est condamné à 5 ans de prison et celui qui ruine les banques publiques en détournant des milliards de dinars s'en sort avec une peine maximale ne dépassant pas 4 ans ? Nos sources déclarent que le ministre est «investi d'une mission, comme d'ailleurs tout le gouvernement, qui est celle de gérer une transition en attendant 2014. Va-t-il pouvoir engager une réforme pour une période aussi courte ? Il est utopique de le croire». D'autres magistrats, faisant également partie du CSM, sont plutôt optimistes. Ils estiment que si le ministre ait choisi le CSM pour lancer des messages aussi forts, c'est qu'il a obtenu le feu vert pour donner un coup de pied dans la fourmilière. «Charfi connaît le secteur et est venu au moment où le gouvernement veut faire avancer les réformes annoncées récemment. Ce dernier compte beaucoup sur les magistrats. De ce fait, il doit inévitablement être à leur écoute. La lutte contre la corruption s'impose de fait parce qu'elle est la cause principale de tous les blocages et les maux qui affectent le secteur», explique un juge, membre du CSM. Contacté, Djamel Aïdouni, secrétaire général du SNM, déclare : «Nous-mêmes, en tant que syndicat, avons dénoncé à plusieurs reprises la corruption. Nous n'avons jamais dit que les juges étaient tous des saints, bien au contraire. Nous savons que tous les secteurs de la vie publique sont touchés et personne ne peut dire l'inverse. Maintenant que le ministre veut combattre ce fléau, nous ne pouvons que l'applaudir et l'appuyer. Les moyens sont connus par tous et préconisés par les institutions internationales. Un juge à l'abri des besoins matériels, bien formé et ayant le courage de prendre les décisions est le plus protégé de la corruption.» Pour M. Aïdouni, le ministre est connu pour être «un homme de communication qui écoute tout le monde. Il a profité de la réunion du Conseil pour lancer des messages. Nous n'avons pas peur, bien au contraire. Nous avons toujours dit qu'il y a bien des choses à changer dans le secteur de la justice. Nous espérons qu'il ira jusqu'au bout de ses objectifs». Le choix du CSM pour tenir un tel discours, ajoute M. Aïdouni, «n'est pas fortuit». «Il est l'organe qui gère la carrière des juges et l'autorité qui veille au respect de l'éthique et la déontologie du métier de juge. Ce qui donne une importance considérable au discours. Nous sommes optimistes et pensons qu'une nouvelle étape va commencer, d'autant que lors de notre rencontre avec lui, il a promis de prendre en charge toutes nos doléances. Il a été très attentif à nos préoccupations», conclut le secrétaire général du SNM. Force est de constater que le discours du ministre de la Justice a fait mouche dans la corporation des magistrats, même si au fond, ces derniers ont de tout temps été bernés par des promesses non tenues.