La Turquie est-ce un pays d'Orient ou d'Occident ? Pour ceux qui s'opposent, avec une mauvaise foi évidente, à son intégration au sein de l'Union européenne, prétendent que c'est un pays asiatique. Turquie. De notre envoyé spécial Une mauvaise foi qui cache peut-être une double peur. D'abord, l'Europe ne veut pas d'un pays musulman, alors qu'il est membre de l'OTAN et de toutes les fédérations sportives européennes, par exemple. Peur aussi d'un pays émergent avec une croissance à deux chiffres et qui est en train de devenir une locomotive de l'économie mondiale. Avec ses 85 millions d'habitants, une Turquie membre de l'UE aurait une influence politique déterminante sur la place européenne. Dans une telle perspective, un pays comme Israël ne peut qu'avoir peur. D'où l'hostilité à une Turquie européenne. Pourtant, les Turcs sont plus marqués par la culture européenne qu'orientale. La révolution initiée par Kemal Atatürk au début du XXe siècle a créé un nouvel homme qui a effacé les humiliations subies à l'époque de l'Empire ottoman. Il n'y a qu'à voir Istanbul. L'ancienne Constantinople est l'exemple type de la coexistence entre l'Orient et l'Occident, deux mondes qui se côtoient et vivent en totale harmonie. L'aéroport international, situé dans la partie européenne (elle en possède un autre sur son côté asiatique), vous plonge directement dans le XXIe siècle avec des infrastructures de rêve qui n'existent nulle part ailleurs dans le monde. Ses magasins de souvenirs, ses confiseries orientales, son immense bazar avec ses 6000 boutiques et ses senteurs d'Orient épicées, ses centaines de mosquées et leurs muezzins donnent un cachet particulier à Istanbul qui vous invite à la revisiter en permanence. Agatha Christie, Pierre Loti et d'autres grands noms de la culture occidentale sont tombés sous son charme. Elle a inspiré le roman et le film Le Crime de l'Orient-Express. On voit bien le foulard cachant la tête de beaucoup de femmes, mais il n'y a aucune manifestation ostentatoire de l'islamisme. A croire que Tayyip Erdogan a pris conscience de la réalité turque et que, par conséquent, il n'a plus envie d'engager son pays dans la voie étroite de l'islamisme, considérant que ce serait une véritable catastrophe pour l'économie nationale. Car Istanbul est surtout une ville occidentale avec ses boutiques de luxe portant les noms de grands couturiers, son quartier Taksim surnommé les «Champs Elysées de la Turquie», ses gratte-ciel qui vous rappellent New York ou le quartier de la Défense à Paris. L'autre visage Izmir est une autre affaire. Programmée pour accueillir l'exposition universelle de 2020, cette ville de 2 500 000 habitants est depuis longtemps dans l'universalité. Rien n'indique qu'on est en terre d'islam. Si l'on excepte son beau bazar, une œuvre d'art s'il en est, on se sent totalement plongé dans une ville européenne. Le génie de l'homme turc en a fait un bijou architectural. Construit à flanc de montagne sur une terre ingrate, elle cerne tout un golfe qui lui assure une activité portuaire intense. Ici, point de hidjab, point de muezzin, à l'exception d'une petite mosquée et d'une tour de style oriental qui rappellent qu'on est bien en pays musulman. Une promenade de bord de mer, longue de 4 km et large d'une centaine de mètres, avec sa pelouse bien taillée, ses parterres de fleurs, est un délice pour les flâneurs, les amateurs de jogging, les pêcheurs, y compris des femmes de tous âges qu'on voit alignés sur les bords. Ici, la tolérance est absolue et le respect d'autrui est total. Hommes et femmes veillent jusqu'à une heure tardive, mais on ne remarque jamais un quelconque geste déplacé. Des couples s'embrassent à côté de groupes de personnes âgées et personne n'y trouve à redire. Il n'y a rien d'anormal à voir une jeune fille avalant une bière avec son petit copain dans la fraîcheur de la nuit, à côté d'une famille devisant loin du tumulte de la ville. Ici, la minijupe est reine. Izmir est un véritable bout d'Europe sans l'agressivité et le climat de violence qu'on trouve dans beaucoup de villes européennes. C'est la société que voulait Kamel Atatürk. D'ailleurs, toute la ville porte sa trace. On voit son portrait géant gravé dans la montagne, rappelant celui des trois présidents américains. On voit sur une place la statue de Kamel Atatürk enfant, avec sa mère Zoubeïda ; sur une autre, il est à cheval en tenue militaire ; sur une autre encore, le père des Turcs sur un champ de bataille, entouré de ses hommes. Et on se met à rêver. Pourquoi nos dirigeants n'ont-ils pas essayé d'entraîner le pays dans la modernité ? Seul Boumediène avait essayé.