Avant d'entamer son intervention sur l'œuvre de Frantz Fanon, animée lundi dernier à l'institut culturel français de Constantine, Daniel Delas, professeur émérite de l'université de Cergy-Pontoise et président de l'association pour l'étude des littératures africaines, a tenu à dédier cette rencontre à la mémoire de Pierre Chaulet, décédé vendredi dernier. Un autre homme qui s'est engagé pour la cause algérienne et qui était un ami et un compagnon de Fanon avec qui il a travaillé au sein de la rédaction du journal El Moudjahid. «Comme Chaulet, Fanon a lui aussi choisi l'Algérie dont il se voulait membre à part entière», dira Daniel Delas. Pour lui, Fanon qui était aussi un penseur et un imminent psychiatre, a laissé une œuvre d'une immense notoriété internationale. Une œuvre complète, avec des écrits inédits, qui vient d'être rééditée en 2011, préfacée par certaines sommités dont Jean-Paul Sartre. Toutefois, les deux livres les plus marquants de Fanon demeurent Peaux noires, masques blancs, publié en 1952 au Seuil, et Les Damnés de la terre qu'il a écrit en 1961 et dont il recevra l'édition quelques jours avant sa mort en 1961 à l'age de 36 ans. Durant toute sa vie, Fanon cherche à analyser les conséquences psychologiques de la colonisation à la fois sur le colon et sur le colonisé. «Antillais d'origine, Fanon a subi lui-même le racisme et les interdictions qu'il a évoqués dans son livre Peaux noires masques blancs, où il reprend l'apologie de la violence contre le colonisateur dans des termes plus abrupts», explique le conférencier qui note que ces textes publiés dans Peaux noires, masques blancs ont été la source d'inspiration idéologique pour les noirs américains qui luttaient pour leurs droits civiques au Etats-Unis dans les années 1970. Le livre est mal perçu à sa sortie. «C'est une œuvre qui a choqué par la violence et la charge des mots où Fanon cherche, comme il dit, à faire toucher à ses lecteurs les douleurs des opprimés, pour que cesse l'asservissement de l'homme par l'homme, comme il le notera plus tard», commente Daniel Delas dans cette rencontre ponctuée par des lectures d'extraits des textes de Fanon par l'actrice Adila Bendimerad. Paru aux éditions Maspero en 1961, Les Damnés de la terre sera célèbre grâce à la préface de Jean Paul Sartre. Selon les critiques, le livre se veut un manifeste pour la lutte anticoloniale et l'émancipation du Tiers-monde. Dans certains passages, il expose aussi avec une certaine prémonition les contradictions inhérentes à l'exercice du pouvoir dans les pays d'Afrique à l'ère post-coloniale. «C'est un texte composite avec une ligne militante forte et rigoureuse, ne laissant aucune place au romantisme, rédigée dans un lexique sans équivoque, des phrases courtes et une syntaxe carrée», a déclaré Daniel Delas, qui regrettera que Frantz Fanon qui a connu une vie brillante et bouillonnante n'a pas eu droit à une bonne diffusion de ses œuvres après sa mort, bien qu'il mérite une relecture approfondie de ses écrits.