Digne de sa grandeur et de son humilité, l'enterrement du professeur Pierre Chaulet, militant de la cause algérienne, a eu lieu hier à Alger, en présence d'une foule très nombreuse. Comme il en avait émis le vœu, sa tombe se trouve juste à côté de celle de son ancien camarade de lutte, le lieutenant Henri Maillot, guillotiné par l'armée coloniale en 1956. Se sachant proche de la fin, Pierre Chaulet n'a rien laissé au hasard. Il avait tout préparé avant de quitter ce bas monde, vendredi dernier à Montpellier (France), à l'âge de 82 ans. De la cérémonie funèbre à la petite chapelle de la maison diocésaine d'El Biar jusqu'au choix de l'emplacement de sa tombe à côté de celle de Henri Maillot, ou encore le contenu de sa biographie. Normal, disent ceux qui le connaissaient bien. Le défunt était très organisé même dans les moments les plus difficiles, comme la maladie et la mort, que l'être humain puisse traverser. Hier matin, la petite chapelle de la maison diocésaine, où son cercueil – drapé de l'emblème national et couvert de couronnes de roses – avait été déposé par un détachement de la Protection, civile, était bondée de monde. Etaient présents notamment ses anciens camarades de lutte, des personnalités politiques, Rédha Malek, Sid Ahmed Ghozali, Mouloud Hamrouche, Smaïl Hamdani, tous anciens chefs de gouvernement, mais aussi Ali Haroun (ancien responsable de la Fédération de France du FLN), Lakhdar Brahimi, Abdelhak Brerhi, pour ne citer que ceux-là, ainsi que des universitaires, des syndicalistes et des représentants du mouvement associatif et de simples citoyens. L'ex-archevêque d'Alger, monseigneur Tessier, a officié la messe dans un silence religieux et a terminé par : «Ina Lillah wa ina Ilayhi radjioun (A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons).» Il cède sa place à Jaqueline Guerroudj, autre militante anticolonialiste, qui a lu, devant une assistance émue, une longue et riche biographie du défunt. La cérémonie a duré deux heures. Le cercueil, porté par deux rangées d'éléments de la Protection civile, est hissé sous des youyous stridents lancées par les nombreuses femmes, surtout d'anciennes moudjahidate. Devancé par Claudine Chaulet, la veuve du professeur, ses deux filles, ses petits-enfants et ses proches, accompagné par l'assistance, le cortège funèbre s'ébranle vers le cimetière chrétien de Diar Essaâda, à El Madania, qui surplombe la baie d'Alger. Sur les lieux, de forts applaudissements et des youyous accueillent l'arrivée de la dépouille. Une foule nombreuse l'attendait depuis des heures sous un soleil de plomb. Des membres du corps médical, des cadres de l'administration, des responsables, d'anciens combattants et combattantes de la Révolution, des syndicalistes, des étudiants, des artistes, des anonymes, des personnalités politiques. Parmi celles-ci, le ministre de la Santé, Abdelaziz Ziari, le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine, Saïd Abadou, Saïd Bouteflika, le frère et conseiller du président de la République, le ministre de l'Environnement, Amara Benyounes, l'ex-ministre de la Santé Yahia Guidoum, l'ex-ministre de la Communication Abdelaziz Rehabi, le président du Conseil national social et économique, Mohamed Seghir Babes… C'est dans un coin du cimetière, en retrait, sous l'ombre des arbres, surplombant la baie d'Alger et juste à côté de la tombe de Henri Maillot – un militant de l'indépendance guillotiné par l'armée coloniale en juin 1956 pour avoir rejoint la Révolution algérienne – que Pierre Chaulet a choisi d'être enterré. Très ému, monseigneur Teissier prononce l'oraison funèbre. Une Fatiha est lue par l'assistance avant que le cercueil soit mis en terre par les éléments de la Protection civile. Une file humaine interminable se forme pour poser un dernier regard sur la tombe recouverte d'une gerbe de fleurs portant l'inscription «Au frère de combat, repose en paix». Né en Algérie de parents également natifs d'Algérie en 1930, Pierre Chaulet, qui a choisi la nationalité algérienne peu après l'indépendance, a été l'un des pionniers de la médecine algérienne. Il avait rejoint les rangs du FLN en décembre 1954 et côtoyé ses plus importants dirigeants. Un des fondateurs de l'agence Algérie presse service (APS) en 1961 à Tunis, le défunt, qui a également fait partie de la rédaction du journal El Moudjahid, était aussi un éminent spécialiste en pneumologie qui a formé, après l'indépendance, des générations de médecins algériens. Il avait été le précurseur de la lutte contre la tuberculose, ce qui lui a valu d'occuper de hautes fonctions au sein du ministère de la Santé et d'être sollicité en tant que consultant par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il a été vice-président de l'Observatoire national des droits de l'homme et membre du Conseil national économique et social (CNES). Il avait quitté le pays en 1994, après des menaces de mort lancées contre lui par les terroristes, sans pour autant couper les liens avec sa patrie, l'Algérie. Il est revenu en 1999 et a fait partie du comité national d'experts de la tuberculose et des maladies respiratoires auprès du ministère de la Santé jusqu'à son décès. En tant que consultant auprès du CNES, il avait participé à l'élaboration du rapport national sur le développement humain en Algérie pour les années 2006, 2007 et 2008, et était devenu, en 2009, animateur du comité ad hoc sur la stratégie de santé publique et la sécurité sanitaire nationale. En 2010, Pierre Chaulet a présidé la commission de réflexion sur la loi sanitaire, dont l'avant-projet de loi a été remis aux autorités fin octobre 2010. En février 2012, la maladie le contraint à mettre fin à ses activités. Vendredi dernier, il a rendu l'âme à Montpellier, en présence de tous les membres de sa famille.