Les affrontements qui ont marqué le début de semaine ont poussé les autorités, déterminées à en finir avec ce site, à déployer le maximum d'agents pour parer au pire et dissuader les ultras parmi la population qui refusaient l'évacuation. Après les incidents enregistrés lundi, notamment la blessure de trois agents de police et l'interpellation de quelques jeunes, le quatrième jour de l'opération s'est déroulé dans un calme relatif, malgré le refus de plusieurs familles de quitter leur toit. Tel que rapporté dans notre édition du lundi, l'évacuation de 440 familles des terrains Kaïdi Abdallah et Amirouche a suscité dès le départ la résistance d'une partie des habitants. Quelques cas rencontrés sur place ont exprimé limpidement la nature inextricable de cet imbroglio spécifique à Constantine. Nous sommes chez Nacer Eddine O. au n°77, terrain Kaïdi. La maison, qui abrite une famille plus ou moins nombreuse, est construite en dur sur un terrain acheté en 1951, comme en témoigne le contrat d'achat marqué par le sceau de l'administration coloniale. « Nous ne demandons qu'un logement décent », lâche notre hôte qui nous fait visiter sa maison en dur construite sur deux niveaux et qui bénéficie en contrepartie d'un F2. Sa mère, une septuagénaire, qui occupe un F6 mitoyen, bénéficie, elle aussi, d'un F2. « Ces cages à poules qu'on nous a assignées ne pourront même pas contenir nos meubles », lance-t-elle. Le problème est ainsi posé : pour ces gens, quitter une vaste propriété pour devenir locataire dans des logements beaucoup plus petits est inadmissible. Pour l'Etat, sauver les vies est bien plus important, et ce quartier doit être évacué d'urgence. Le pâté de maisons où nous sommes n'est pas encore touché, mais plus bas l'armée des démolisseurs est à l'œuvre. En voulant prendre des photos, nous avons rencontré une résistance de la part des policiers qui étaient visiblement gênés. A cet endroit, la pente devient très aiguë et les logements construits sur la lisière offrent gratuitement le spectacle de leurs fissures béantes. Ce sont des logements de fortune pour la plupart et qui manquent de conditions les plus élémentaires pour garantir le minimum de dignité pour leurs occupants. Des familles s'accrochent pourtant et refusent de quitter les lieux. Les membres de la commission mixte chargée du site ont du mal à convaincre. Mais le verdict est sans appel. La plupart des contestataires réclament plusieurs logements pour les membres de la famille ou alors une révision à la hausse du nombre de pièces. Le docteur Chibane, membre de la commission représentant l'APW, reconnaît qu' « il y a eu quelques erreurs, notamment en ce qui concerne la typologie du logement, mais elles ne dépassent pas quatre ou cinq cas qui vont être régularisés dès samedi », avant d'ajouter : « Il y a beaucoup de cas d'indus occupants et de propriétaires mal intentionnés qui n'habitent pas le quartier, mais qui sont venus profiter de l'opération. » Par ailleurs, le wali a averti lundi contre toute manipulation de la part des propriétaires et menacé de faire usage de la force si ces personnes persistent, tout en précisant que les propriétaires peuvent toujours jouir de la propriété du terrain après la démolition. En gros, le désarroi dégagé par la population est accueilli avec froideur par les représentants de l'Etat qui semblent rodés à ce genre de situation. Moussa Mechouche, directeur de l'urbanisme auprès de la commune de Constantine, défend l'opération en affirmant que le site est classé zone rouge par l'étude consacrée au phénomène du glissement de terrain réalisée par le bureau français Simecsol. « En plus, toutes ces maisons ont été construites sans permis de construire et sans aucune étude du sol », ajoutera-t-il. Les autorités agissent pour anticiper sur d'éventuelles catastrophes qui viendraient frapper la population de ces quartiers érigés sur des versants instables. Ce sont des milliers de familles, occupant le flanc nord de la ville, qui sont aujourd'hui concernées par ce danger. Pour traiter la quadrature du cercle, l'Etat a donc choisi de raser ces quartiers sans état d'âme et de recaser ses habitants dans les limites des moyens et sans distinction.