Cinquante ans après la fin du conflit, le Sénat français devrait voter, jeudi, la proposition de loi instaurant le 19 mars comme Journée nationale du souvenir de la Guerre d'Algérie. Lyon De notre correspondant Le Sénat, dirigé par une majorité de gauche depuis septembre 2011, s'apprête, le jeudi 25 octobre, à voter une proposition de loi visant à instaurer le 19 mars comme «Journée nationale de recueillement et de mémoire en souvenir de toutes les victimes de la guerre d'Algérie, des combats en Tunisie et au Maroc et de tous leurs drames». Ce sont les termes de l'article 1 qui avait été voté par la majorité de gauche de l'Assemblée nationale en février 2002, quelques semaines avant que la droite ne gagne les élections législatives de mars 2002. Alain Néri, alors député socialiste du Puy-de-Dôme, avait été le rapporteur de la proposition de loi. Aujourd'hui sénateur de ce même département, il est à nouveau le rapporteur devant la Chambre haute, cette fois-ci. «Si le texte est voté dans les mêmes termes par le Sénat, il sera alors adopté définitivement et il ne reste plus qu'au président de la République de promulguer la nouvelle loi», nous a-t-il expliqué. «Nous avons la volonté de rassembler tout ceux qui ont souffert pour que la France se réconcilie avec son histoire et sa mémoire, dans un souci d'apaisement», ajoute-t-il. Le passage de cette loi mettra fin à l'expectative du monde politique français à s'entendre sur une date de commémoration des souffrances induites par la guerre d'Algérie, alors que le 19 mars, s'imposait comme marqueur historique. Il avait d'ailleurs fallu attendre une initiative socialiste, en 1999, 37 ans après la fin du conflit, pour que le terme de «guerre d'Algérie» succède enfin légalement à celui longtemps nommé «événements». Pus tard, outre la détestable loi de février 2005 qui qualifiait de «positive» la colonisation, le président Chirac joua, en 2003, dans le flou en instaurant une Journée de souvenir le 5 décembre, simple jour de l'inauguration du mémorial du quai Branly à Paris. Parmi les protestataires de cette décision qui ne correspondait à aucune date historique, la Fédération nationale des anciens combattants en Afrique du Nord (Fnaca) qui n'eut de cesse, depuis, de réclamer le 19 mars comme date unique de commémoration et dont les adhérents déposent, chaque année, une gerbe devant les monuments aux morts français. D'autres associations ne veulent pas, jusqu'à ce jour, de ce 19 mars, date du cessez-le-feu en Algérie qui, pour eux, ne signifiait pas la fin des victimes du conflit. Pour le sénateur Néri, «aucune guerre ne s'arrête vraiment le jour du cessez-le-feu. Après le 11 novembre 1918, la Première Guerre mondiale a continué en d'autres lieux. Après le 8 mai 1945, combien de victimes encore dans les conflits au Japon par exemple». Pour lui, en dépit des oppositions, «force revient à la loi. Je suis un républicain et je ne crois qu'à une seule légitimité, celle du suffrage universel. Si la loi est votée, elle s'appliquera». Déjà, dans l'exposé des motifs en 2002, largement repris par la mouture sénatoriale de 2012, le texte indiquait les raisons du choix d'une date claire pour tout le monde, quel que soit l'engagement tenu pendant cette période : «Il s'agit d'évoquer la guerre d'Algérie dans sa dimension la plus large, de ne pas dissimuler la vérité historique, de donner la parole aux acteurs du drame algérien et de reconnaître que ce conflit, mettant un terme à notre passé colonial, a profondément marqué notre pays, les populations d'Algérie et de Métropole ainsi que leurs descendants. Si toutes les cicatrices ne sont pas encore refermées, la parole et le témoignage doivent être facilités afin de dénoncer la guerre et d'assumer globalement l'héritage de notre Histoire.» Outre les soldats français tués au combat ou blessés, le Premier ministre Lionel Jospin disait en 2001 : «Aucune victime ne doit être oubliée, ni du côté algérien, ni du côté français. Nous ne pouvons pas non plus ignorer les massacres dont les harkis ont été victimes. Ce travail de vérité constitue un ciment puissant pour notre communauté nationale, car il lui permet d'édifier de plus solides fondations pour son avenir.» «La guerre d'Algérie a trop longtemps suscité malaises, ambiguïtés et non-dits» A propos des harkis, le 25 septembre dernier, le président François Hollande était allé plus loin en parlant de «faute impardonnable», le fait de les avoir abandonnés en quittant l'Algérie. L'idée de la gauche, aujourd'hui, est de dépassionner les débats et de créer les conditions d'un rassemblement autour de la mémoire, tout en construisant un pont vers l'Algérie, pont que le président Hollande vient de franchir en reconnaissant les massacres du 17 octobre 1961, alors qu'il s'apprête à effectuer une visite qui s'annonce d'ores et déjà historique. Cela tranchera avec les dix années de gestion politique de la France par la droite, où les idées les plus revanchardes ont éclos, parfois soutenues jusqu'à la présidence de la République, tenue par Nicolas Sarkozy. La gauche souhaite remettre les choses à plat. Ainsi, pour le rapporteur au Sénat, «la guerre d'Algérie, par sa spécificité historique et ses drames, par le climat passionnel et douloureux qui s'y rattache, a trop longtemps suscité malaises, ambiguïtés et non-dits . Aujourd'hui, il est de notre responsabilité d'inscrire durablement son évocation dans notre mémoire collective, accompagnant ainsi un indispensable acte de réconciliation et de concorde nationale. Dix années de guerre en Afrique du Nord sont constitutives de notre Histoire et le recul du temps permet maintenant d'en dresser un inventaire lucide et exhaustif.» Le sénateur Néri n'a pas participé à la guerre. Il serait parti en 1962 si le cessez-le-feu n'avait pas mis un terme au conflit : «J'ai vécu charnellement cette période déchirante, voyant les soldats blessés revenir, les cercueils enterrés. Beaucoup trop de souffrances pour toute une génération, fille de celle qui avait déjà souffert de la Seconde Guerre mondiale. La guerre d'Algérie fut un rude choc pour le pays, il est temps qu'on rende hommage avec sérieux, et qu'on œuvre à la réconciliation entre nos deux pays.»