C'est sans tambour ni trompette que l'envoyé spécial de Ban Ki-moon pour le Sahara occidental, Christopher Ross, est retourné samedi au pays de sa majesté. Banni depuis le mois mai dernier par une fatwa royale qui lui a retiré la confiance du «commandeur des croyants», le diplomate américain a fini par couper la parole au makhzen et ses médias. C. Ross, qui a fait preuve d'un professionnalisme à toute épreuve face au «making of» en vogue à Rabat dès qu'il est question du Sahara, aura réussi son bras de fer contre l'Etat marocain. En foulant de nouveau le sol chérifien en qualité d'envoyé spécial fortement soutenu par le secrétaire général de l'ONU, M. Ross aura mis le roi et sa cour en échec et mat. En diplomatie, cela s'appelle une déculottée. On imagine toute la gêne du ministre marocain des Affaires étrangères, Saadeddine Ohtmani, contraint d'esquisser un sourire face à un diplomate tout à fait indésirable chez lui. Le roi Mohammed VI, lui, a trouvé la parade pour s'éloigner de cette humiliation diplomatique : pendant que Christopher Ross entamait sa visite de travail, le jeune souverain se reposait dans son château de Betz, au pays de François Hollande. Peut-être que le président français voudrait bien lui tendre une planche de salut pour le sortir d'une posture peu enviable. Le retour de Christopher Ross sur les lieux de la torture et des violations des droits de l'homme est vécu au Maroc comme un affront ineffable. Même les journaux affichent le spleen se contentant d'annoncer sobrement l'arrivée de l'envoyé spécial de l'ONU.Il est vrai qu'il est cette fois difficile de transformer un cinglant désaveu diplomatique en un exploit de sa majesté. Faute de pouvoir analyser librement les faits, les responsables et la presse marocains affichent un profil bas le temps que le camouflet soit digéré. Sauf que les mauvaises nouvelles n'arrivant que rarement seules, Christopher Ross, qui s'est mis tout le Maroc à dos en pointant la situation des droits de l'homme, vient de bénéficier d'un soutien de poids. Son collègue enquêteur de l'ONU sur la torture, Juan Mendez, a carrément mis les pieds dans le plat. Dans son rapport présenté la semaine dernière à l'Assemblée générale, non seulement il a confirmé les violations des droits de l'homme, mais il a évoqué la pratique de la torture, au royaume, sur les opposants impliqués dans le conflit au Sahara occidental. «Il y a de nombreuses preuves d'une utilisation excessive de la force», a déclaré à la presse le rapporteur spécial de l'ONU, après avoir présenté son rapport. Juan Mendez enfonce encore le couteau : «Chaque fois qu'il est question de sécurité nationale, il y a une tendance à utiliser la torture dans les interrogatoires.» Les détenus sahraouis qui croupissent sans jugement dans la prison de Salé à Rabat en savent sans doute quelque chose. Le Maroc a certainement pu tromper tout le monde quelque temps, mais peut-il le faire tout le temps ? Christopher Ross a prouvé le contraire.