La vue de l'Océan Indien (l'Arabian Sea) fait rêver l A tous les voyageurs qui pendant des siècles ont traversé cette mer pour aboutir sur les rivages de Bombay, devenu Mumbai,où quelque part ils ont laissé des traces, des souvenirs qui font partie de l'histoire de cette ville. Mumbai flambe déjà sous le soleil quand on débarque à l'hôtel Trident. Dans le lobby de ce palace du groupe Oberoi, le bureau du festival de Mumbai est déjà encombré de «delegates». Des employés en tenue blanche impeccable les conduisent dans leur chambre, d'où on est aussitôt plongé dans la contemplation des eaux calmes de l'océan. On est intrigué par la vue d'un pont de fer et de béton construit sur la mer pour alléger la détresse des automobilistes, qui se payent des heures d'embouteillage. Le nouveau pont, devenu objet de culte, semble flotter spectaculairement sur l'eau. Une image saisissante. A Marine Drive, qui borde l'océan, on vend des fleurs jaunes, du papier doré, des bâtonnets d'encens. Quand la nuit tombe, on allume l'encens, on psalmodie des prières et on fait des offrandes aux dieux face à la mer. Il faut montrer son badge jaune pour accéder au cœur du festival situé au National Center Of Performing Arts (NCPA), où devant les salles de projection une foule se presse déjà dans une atmosphère fougueuse. Ces aficionados ont choisi, à cette heure matinale, commencer par le panorama italien. Rendant hommage au centenaire du cinéma italien (1912-2012), le festival de Mumbai a mis au programme 30 œuvres de cinéastes qui ne tolèrent que la perfection : Visconti, Fellini, Antonioni, Moretti, Scola, Monicelli, Rosselini...Que des virtuoses du 7e art. Abordant ces rivages italiens, un public nombreux a dû garder les yeux ouverts et les sens en éveil. Le cinéma italien, vu à Mumbai, est un cinéma au long souffle qui va de la magie de Fellini au mystère flamboyant de Visconti. Fort présent aussi au festival de Mumbai, le cinéma iranien qui a montré son talent implacable dans le film de Masoud Bakhshi, Une famille respectable. Un drame précis qui analyse un aspect de la société islamique d'Iran, demeurée uniformément accrochée à ses pensées rétrogrades et à ses grosses combines d'enrichissement qui n'épargnent personne, pas même les membres d'une seule famille. Un professeur iranien retourne de l'étranger pour donner des cours de sociologie à la faculté de Chiraz. Ce retour coïncide avec le décés de son père, qui lui a légué une grande fortune. Il a aussi un frère mort pendant la guerre avec l'Irak dans les années 1980. Afin de récupérer l'argent et chasser le professeur, la famille, qui a des appuis puissants (en utilisant le martyre du jeune frère), le fait arrêter, torturer et expulser du pays. Ce film violent provoque une gêne, un malaise considérable. Ce déchaînement de violence et de haine montre que la chariaâ iranienne, le puritanisme religieux, les lois sévères, très strictes qui protègent la morale islamique n'empêchent pas le comportement cynique et criminel de certains Iraniens. Qui voudrait vivre sous le règne peu reluisant d'Ahmadinejad ? La société iranienne est-elle à ce point immorale ? Calcutta (Kolkata) n'est pas une ville triste. C'était même l'endroit rêvé pour tourner des œuvres sublimes : celles de Satyajit Ray, et aujourd'hui un film authentiquement brillant Paanch Adhya (Après le feu de l'amour) de Pratim Gupta. Deux êtres se sont beaucoup aimés, et puis cet amour si fort n'a pas résisté, il s'est évanoui. Le récit se passe dans le milieu du cinéma, de la poésie. Deux formes d'art. Elle, professeur de littérature, enseigne la poésie à ses étudiants. Elle leur montre un chemin dans la vie, un épanouissement dans la pratique de l'art poétique. Son mari, metteur en scène de cinéma, a pour règle de gérer ses tournages avec force, à utiliser ses actrices comme simples objets qu'on peut manipuler. Comme Godard qui fait répéter 20 fois la même réplique à son héroïne, par pure méchanceté. Entre la poétesse et le cinéaste, les relations sont devenues difficiles, conflictuelles. Il y a des signaux de divorce dans l'air. Un jour, la belle Ishita avoue à l'indifférent Arindam qu'elle est atteinte de cancer et qu'elle n'a que quelques mois d'espoir. Arindam ouvre alors les yeux sur le drame. Il devient serein. On dirait qu'un brouillard s'est soudain dissipé sur leur relation. Dans une librairie de Calcutta, Arindam achète un livre de poésie ! Est-ce le triomphe de la littérature sur le cinéma ? Pratim Gupta a fait un film très élégant, très esthétique. Les décors intérieurs sont superbes et la justesse de jeu des acteurs Priyanshu Chatterjee et Dia Mizra sont à l'image de l'excellente qualité du cinéma bengali. Le 14e Festival du film de Mumbai, dirigé par Srinivasan Narayanan, a projeté 230 films, parmi lesquels une dizaine de grands classiques restaurés à Poona, Bologna ou New York, grâce à Martin Scorsese et sa Film Foundation. Dans un pays où le piratage est une seconde nature, les distributeurs indiens sont hantés par ce phénomène quasi incontrôlable. Les pirates entrent dans les salles dans le noir et sur la pointe des pieds et opèrent dans leur coin avec leurs «camcorders». Le festival de Mumbai n'a pas hésité à recruter un certain A. Khan, ancien chef du «anti-terroriste squad», qui a placé ses agents à chaque projection. Les pirates de Mumbai vont-ils verser de chaudes larmes après leurs espoirs perdus ?