Au Festival international du théâtre de Béjaïa, Dalila Meftahi, metteure en scène et comédienne de la troupe Masrah Ennas de Tunis, a présenté la première au public sa nouvelle production, Train zefar (Le Train a sifflé), une adaptation libre du texte de Federico García Lorca, La Maison de Bernarda Alba, à travers lequel il avait dénoncé le poids des traditions dans la société espagnole des années 1930. La générale tunisienne de Le Train a sifflé aura lieu le 11 novembre à Tunis. - La Révolution du peuple tunisien va-t-elle changer l'expression théâtrale dans le pays ?
Il y aura des aspects positifs et des aspects négatifs. La Révolution a forcé au mouvement certains artistes pour créer de nouvelles œuvres, proposer de nouvelles idées. La Révolution doit s'exprimer dans la création artistique. C'est de cette manière qu'on montre son patriotisme, qu'on participe au renouveau du pays. Cette participation doit se faire avec des œuvres de qualité. La violence, apparue ces derniers temps en Tunisie, relève des aspects négatifs de la Révolution. Cela inquiète quelque peu les artistes. C'est une situation conjoncturelle. Ce n'est pas un problème. Cette situation n'a en aucun cas influencé la qualité ou la fréquence des travaux artistiques. Les artistes n'ont pas peur. Au contraire, cette évolution des choses a conforté les artistes dans leur conviction d'appuyer davantage la Révolution et d'être plus présents. Pour se révolter, il faut créer. L'arme de l'artiste est la création. Malgré les menaces, malgré la curieuse émergence d'extrémistes religieux qui s'attaquent ouvertement aux gens de la culture et de l'art… Les artistes sentent cette pression. Les chauves-souris n'aiment pas la lumière. Elles ne sortent que la nuit. Ce groupuscule a lui-même peur des artistes. Parce que les artistes ont le pouvoir de dire et de dévoiler les choses à travers le théâtre, le cinéma, la musique, les arts plastiques. D'où les menaces. Les artistes tunisiens savent tout cela. Ils sont assez forts pour se défendre. Nous avons une bonne base. Les syndicats activent sur le terrain. Je ne crois pas que la peur dépasse le stade actuel. Il est vrai qu'ils ont tenté d'empêcher Lotfi Abdelli de faire son spectacle. Mais c'était limité. Lotfi Abdelli est allé dans une autre ville, Sfax, où il a pu animer son spectacle — 100 % Hallal, de Lotfi Abdelli, a été présenté le 18 août dernier au théâtre municipal de Sfax, ndlr. Il a été défendu par les habitants de cette ville. La résistance a limité la propagation de l'interdit (les salafistes ont estimé que le spectacle de Lotfi Abdelli «portait atteinte» à l'islam», ndlr).
- Les artistes sont-ils unifiés face à ces pressions et menaces ?
Oui, nous sommes unis. Nous continuons tous à travailler. A travailler ensemble. Nous pouvons avoir des différences sur le plan artistique. Mais nous sommes tous favorables à la défense de la liberté d'expression, de la création et de la présence sur la scène publique. Nous sommes solidaires. Nous avons créé l'Union des artistes. A chaque spectacle, représentation, exposition ou projection, nous sommes tous mobilisés par notre présence. Nous faisons en sorte que les salles soient toutes remplies. A chaque fois. - Croyez-vous à l'idée du théâtre de la Révolution ou du théâtre de l'après-Révolution ?
L'essentiel est de faire du théâtre. On peut y mettre le contenu qu'on veut. Seulement, il faut éviter de verser dans les discours politiques et dans les slogans (…). En Tunisie, le théâtre ne s'est jamais arrêté. La Révolution a plus d'une année. Les travaux faits avant le 14 janvier 2011 (fuite de Zine Al Abidine Ben Ali et fin de la dictature, ndlr) continuent à être présentés. Idem pour ceux réalisés après cette date. La roue doit continuer de tourner. Sinon, ce sera la marche arrière pour tout le monde… - La situation nouvelle dans les pays arabes impose-t-elle une rénovation du théâtre politique dans cette région du monde ?
Vous savez, il suffit d'ouvrir la bouche pour dire la politique. Je suis contre les slogans. Pour dire des choses, il faut le faire de manière artistique. Il ne sert à rien de monter sur scène et d'insulter les autres. La rue est le meilleur endroit pour faire des discours, khittabet. Ce n'est pas cela, le théâtre. Le théâtre est un jeu complet. Il y a des critères et des règles à respecter (…). Il m'arrive de voir ce qui se fait dans le théâtre arabe d'aujourd'hui, dans les festivals. Il y a du bon et du moins bon. Le théâtre doit être libre, sinon ce n'est plus du théâtre. Ce ne sont pas les révolutions qui donnent cette liberté au théâtre. Si on n'est pas libre, on ne peut pas faire du théâtre. On sera rejeté par la scène…