Un rapprochement difficile en raison de l'«inégalité d'une guerre et d'une histoire», soutient Abdelmadjid Merdaci. Cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie et la fin de l'empire colonial, est-il possible de rapprocher les points de vue algériens et français sur la lecture à faire sur la mémoire et l'histoire ? Les deux pays peuvent-ils se regarder en face à l'occasion du cinquantenaire ? s'est interrogé Valérie Hannin, directrice de rédaction du magazine Histoire, qui a modéré le débat sur «La transmission de l'histoire», animé par les historiens et les chercheurs que sont Benjamin Stora, Michel Winock, Abdelmadjid Merdaci et Lydia Aït Saâdi Bouras, jeudi dernier, à l'Institut français d'Alger. Pour le spécialiste de la guerre d'Algérie, Benjamin Stora, il est si difficile de «rapprocher les points de vue, dès lors qu'il y a eu d'un côté une victoire et de l'autre une défaite. Ça l'est d'autant pas facile pour la France d'accepter une séparation avec l'Algérie. Le nationalisme français s'est construit sur la grandeur de l'empire colonial, dont l'Algérie se trouvait au centre. L'Algérie était intégrée dans la fierté française. Elle occupait une place centrale dans l'imaginaire collectif français. Et lorsque se termine cette histoire par l'indépendance, la séparation est vécue comme une blessure narcissique pour les nationalistes français», analyse l'historien. Pour les Algériens, «dont le rapport à l'histoire est fait d'humiliations, de dépossessions et de confiscations sans équivalence, c'est le début de quelque chose. Pendant que les Français se posaient la question pourquoi ils sont partis, pour les Algériens la question était pourquoi les Français sont-ils venus ? C'est là un énorme écart qu'il faut combler», a expliqué M. Stora. Cela passerait par une accumulation de savoirs sur le terrain de la connaissance. «Il y a lieu de s'attaquer aux causes du colonialisme pour mieux le comprendre. Il y a un grand travail à faire dans le domaine de la connaissance pour passer à la reconnaissance», suggère l'historien. Ce passage ne peut se réaliser seulement par «l'académisme, mais par celui du politique aussi», soutient-il. M. Stora, qui estime que malgré un long chemin parcouru, «il reste la bataille politique qui est devant nous. L'occasion du 17 octobre dernier était un premier pas. C'est la première fois qu'un président rentre dans cette bataille historique. C'est un pas important. Une parole politique qui relève de ce qui s'est passé au sein de l'immigration, mais le plus grand problème est ce qui s'est passé en Algérie», a préconisé Benjamin Stora. Le président français, François Hollande, serait sans doute attendu sur ce terrain à l'occasion de son voyage en Algérie. Du point de vue du chercheur algérien Abdelmadjid Merdaci, le rapprochement est assez difficile en raison de «l'inégalité d'une guerre et d'une histoire, mais également du silence du côté algérien». «De notre côté, il y a eu un silence, une commémoration en creux. Pourquoi ? Depuis 1962, il y a eu moins de productions éditoriales et cénesthopathiques dû au fait d'un régime fondé sur la violence et des mythes. Nous ne parlons pas de la même histoire chez nous en Algérie. Nous vivons encore la charge de la violence coloniale qui n'est pas encore exorcisée», soutient M. Merdaci. «Dans les manuels scolaires, le roman national est écrit par le pouvoir politique où ne figuraient pas les principaux architectes de la révolution. Un trou dans l'histoire», corrobore Lydia Aït Saâdi Bouras. Et si la réconciliation franco-allemande est vantée comme modèle de rapprochement historique entre deux nations séparées par au moins trois guerres, pourquoi cela ne l'est pas entre l'Algérie et la France ? «Ce n'est pas encore possible en raison d'un déphasage entre une nation vieille, la France, et une autre jeune, l'Algérie», a estimé Michel Winock, professeur émérite à sciences-po, et cofondateur de la revue Histoire. Selon lui, «la conscience nationale en France s'est forgée dans la longue durée contre un ennemi haïssable, l'Allemagne. En Algérie, la formation de la conscience nationale était en direction du colonisateur, dans l'adversité et la résistance à la France. D'où la difficulté à surmonter ce déphasage historique», juge, M. Winock qui était aussi un anticolonialiste et militait pour l'indépendance de l'Algérie au sein de l'UNEF durant les années cinquante. En somme, la guerre des mémoires continue de déchirer les deux rives de la Méditerranée. Le temps du rapprochement est encore loin.