«La pénétrante va engloutir 300 ha de terres agricoles» nous affirme Rachid Baouche, président de la Chambre d'Agriculture de la wilaya. Le déclassement de terres agricoles qu'a approuvé, le 17 septembre dernier, le conseil des ministres, pour certaines wilayas, intervient une année, presque jour pour jour, après la promulgation du décret 03/313 du 16/09/2003 fixant les modalités de reprises des terres agricoles du domaine national intégrées dans le secteur urbanisable. Même si ce déclassement concerne «certaines wilayas», la procédure est en vigueur depuis des années avec une fréquence qui tend à remettre en cause son caractère exceptionnel. À Béjaïa, par exemple, depuis 2004, une année après la promulgation du décret 03/313, l'APW a délibéré, sur sollicitations de l'administration, pour un minimum (certaines délibérations ne mentionnant pas la superficie concernée) de 70 ha de terres extraites du domaine agricole. La dernière délibération du genre a été votée il y a deux mois, soit le 11 septembre dernier, et concerne l'approbation de la reprise par l'Etat de plus de 17 hectares de terres agricoles pour servir d'assiettes à des projets d'utilité publique. Il s'agit, pour la commune de Béjaïa, de trois projets, tous au bénéfice des services de sécurité : une BMPJ, et deux brigades du Darak, une mobile et une autre de la Sécurité routière. Mais le gros des projets concerne la réalisation de 1550 logements et différents équipements publics. Cette délibération de l'APW n'est pas la première du genre. En tout, l'Assemblée a été appelée à délibérer une douzaine de fois pour une quarantaine de projets dont 2400 unités sociales et cinq établissements scolaires. C'est autant de reprises qui grignotent petit à petit le foncier agricole. «Effectivement, mais il y a des moments où on est obligé de le faire» nous répond le P/APW, Hamid Ferhat, qui regrette, toutefois, l'existence d'une «stratégie aveugle». Le président, qu'il est, du comité de recevabilité des dossiers de demandes de reprise de ces terres précise qu': «il n'est jamais question de projets d'investissements économiques privés ou publics». On a en tout cas déjà consenti à construire au moins trois mosquées, un cantonnement de la garde communale, une sûreté urbaine, un siège d'APC, 672 locaux commerciaux, une station d'épuration, une salle de sport,… sur des terres soustraites au domaine agricole qui se rétrécit sous l'avancée du béton. «Ce sont des terres incultes» précise notre interlocuteur. Des terres relevant d'EAC et d'EAI, exploitations agricoles collectives ou individuelles, non exploitées, ont été récupérées, par délibérations, pour les besoins d'implantation de projets moyennant une indemnisation des «exploitants» pour la jouissance qu'ils perdent.«La pénétrante (de Béjaïa) va engloutir 300 ha de terres agricoles» nous affirme Rachid Baouche, président de la Chambre d'Agriculture de la wilaya. «Mais que peut-on faire quand c'est pour une utilité publique» lâche-t-il, l'essentiel étant que «les fellahs seront indemnisés». Préservation La dernière approbation du Conseil des ministres réveille un soupçon chez le P/APW de Béjaïa qui se demande est ce qu'on ne préparerait pas le terrain pour la délocalisation du projet de l'usine de Renault de Jijel vers Oran ? Hors de la compétence de l'APW, la reprise des terres agricoles situées dans les zones non urbanisables est du ressort des autorités centrales qui statuent, essentiellement, sur le déclassement de parcelles relevant du patrimoine forestier. Et Béjaïa a été en 2011, la wilaya la plus touchée par l'opération en vertu du décret exécutif n°11-238 du 9 juillet 2011, portant déclassement du régime forestier national de parcelles de forêts domaniales dans trois wilayas dont Alger et Jijel. La forêt a perdu, par la force de la loi, 200 ha transformés en espaces urbanisables à Béjaïa en 2011. «La surface boisée a perdu 21% de son étendue depuis 1955, en raison des incendies, du surpâturage et des coupes de bois. Les initiatives institutionnelles freinent difficilement cette tendance et, si d'importantes campagnes de reboisement ont concerné près de 1 450 000 ha de forêt depuis 1962, leur faible efficacité contribue à faire de la préservation et la réhabilitation du capital forestier, une des principales priorités de la protection environnementale» stipule le schéma national d'aménagement du territoire (SNAT), publié en 2010. Le SNAT, qui indique que 250 000 ha de terres agricoles ont servi d'assiettes pour diverses constructions, plaide clairement pour la préservation des espaces agricoles. Un souci que ne reflètent pas les décisions des autorités centrales décrétant des «déclassements» ou des «reprises» répétées.