Avec une tendance plus appuyée aux éclairages et aux images vidéo, El Ghoul ouel bendir du Théâtre régional de Constantine reste un spectacle de la dénonciation par-dessus tout. Antar Ibn Cheddad, El Hallaj et Othello passent de l'image symbolique à l'image concrète pour dire leur écœurement à l'endroit des gouvernements broyeurs de rêves. Tayeb Dehimi, l'auteur metteur en scène de cette pièce, déjà montée en 1986, tente d'amalgamer théâtre et réalité. Il y arrive par moments, mais ne réussit pas toujours dans son ambitieux projet, l'exercice étant périlleux, il faut l'avouer, même si les comédiens avaient visiblement du plaisir à traverser les âges pour exprimer à leur tour leur adhésion sans retenue à cette forme théâtrale où les rôles sont interchangeables et où il est permis d'arrêter le jeu pour interpeller le spectateur de la salle cairote El Goumhouria. Une forme « participative » qu'il s'agira de régler à l'avenir peut-être pour mieux aller dans le sens d'une complicité plus grande entre la scène et son public. El Ghoul ouel bendir peut raffermir cette relation à condition, nous semble-t-il, de mieux insister sur ce voyage des mythes-symboles (Antar, El Hallaj, Othello) et d'élaguer carrément (toujours à notre humble avis) la partie disons « morale » de la pièce. Retenons cependant que le spectacle jouit d'un rythme avéré aidé par une scénographie dont Aïssa Redaf peut être fier. Dehimi, le metteur en scène, cette fois-ci, saura insuffler aux comédiens Attika Belazma, Ahcène Ibn Aziz, Zoubir Izmou, Noreddine Merouani, Mohamed Deloum et Aïssa Redaf , son désir de faire œuvre commune avec tout le monde pour que la partie commune à l'humanité reste... l'être humain.Chez la troupe anglaise Tangled Feet (pieds entremêlés), nous sommes sur un autre registre théâtral. Nathan Curry, le metteur en scène, fait avancer son récit autour d'objets perdus. Jouant sur la scène du théâtre Ettaliaâ-Salah Abd Sabour, les comédiens entrent dès le départ dans une sorte de course-poursuite avec ces objets perdus. Les personnages sont à leur tour objets perdus, car ils perdent progressivement leurs souvenirs et leurs repères du temps d'avant. Les liens cassent un à un, et il ne reste que des débris de quelque chose, quelque part dans un monde que la troupe britannique dépeint avec ses accélérations violentes et ses dispositions entretenues. Les jeux de lumière et de son épaississent l'atmosphère de la pièce pour dire l'étouffement du temps qui passe. Incompressible. Du côté des Soudanais, nous sommes également dans l'interpellation du temps mais ici, disons-le vite, la démarche esthétique est moins élaborée. La mise en forme du combat entre le temps et l'homme se dilue très vite dans des options philosophiques très éloignées de l'idée de départ. Le personnage central, « chargé » dans la pièce Trois parties en vue de donner vie aux trois toiles, s'emmêle les pinceaux. L'expérimental quitte la scène du théâtre Aymen pour laisser place à une lecture didactique très proche du théâtre scolaire dans sa version embrouillée. L'idée de départ est réduite à son maximum dès la fin du premier quart d'heure. Le spectacle baisse de rythme et de cohérence esthétique. Les trois morceaux de musique de Beethoven deviennent un supplice dans cette pièce qui a l'ambition de faire dans l'expérimental mais qui demeure dramatiquement accrochée à un théâtre traditionnel. Un théâtre encore enveloppé dans sa période infantile. Nous sommes loin des prestations des troupes suisses, autrichiennes et anglaises. Le décalage est énorme. Le Caire De notre envoyé spécial