La place Tahrir du Caire ne désemplit pas. Sitôt évacuée manu militari, elle est immédiatement réoccupée par des manifestants déçus par la tournure que prend la révolte de 2011, surtout depuis l'élection à la tête de l'Etat égyptien de Mohamed Morsi, représentant de la confrérie des Frères musulmans. Profondément désabusés, ils découvrent qu'après avoir chassé le clan Moubarak, ils ont à faire à un dictateur qui aspire à concentrer tous les pouvoirs après la dissolution du Parlement. Il s'est même octroyé la prérogative de légiférer et de décréter que rien ni personne ne peut et ne doit, par exemple, trouver à redire dans la commission, chargée d'élaborer la nouvelle Constitution, dominée majoritairement par les Frères musulmans. Rien, pas même la justice qu'il entend mettre au pas en foulant aux pieds le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire. En concentrant tous les pouvoirs, déjà très étendus, Mohamed Morsi – renforcé par les succès diplomatiques à la suite du rôle de médiateur dans le cessez-le-feu entre Israël et le Hamas palestinien – rêve sans doute de devenir l'émir du califat du Nil auquel aspire la «confrérie». Il n'en fallait pas plus, après une telle tentation absolutiste, pour provoquer la colère des juges qui ont exprimé leur inquiétude par le biais de l'instance judiciaire, à travers une dénonciation en termes durs à l'endroit du président Morsi. D'ailleurs, certains d'entre eux, dont ceux d'Alexandrie, la seconde ville du pays, envisagent de recourir à la grève en signe de protestation. Les représentants des courants laïcs ou libéraux ont, eux aussi, appelé à des manifestations massives pour dénoncer les manœuvres de celui que certains ténors de l'opposition égyptienne, comme l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, ou encore l'ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed El Baradeï, qualifient de «nouveau pharaon». Du côté des Occidentaux qui avaient vu avec les manifestations de la place Tahrir les débuts du «renouveau arabe», les réactions sont plutôt tièdes, Washington appelant les différentes parties à résoudre ce différend par un dialogue démocratique, tandis que les Européens considérant que les mesures prises par Morsi «n'allaient pas dans la bonne direction», sans plus ! Quant à Israël, il se sent sans doute encore plus rassuré que par le passé, puisqu'il vient de demander à l'Egypte d'intervenir le long de la frontière pour maintenir les Palestiniens à bonne distance et veiller à la sécurité – d'Israël bien sûr. Une tâche à laquelle s'associent les autres «frères» du Hamas. Devant de telles considérations stratégiques régionales, il faut malheureusement reconnaître que les avis des associations de défense des droits de l'homme – comme l'américaine Freedom House qui considère que ces mesures «étendent les pouvoirs présidentiels au-delà de ceux qu'avaient ses prédécesseurs y compris Hosni Moubarak» – ne pèsent pas lourd, mais ils donnent raison à ceux qui croient que les réels changements démocratiques en Egypte restent à accomplir.