L'Egypte plus que jamais profondément divisée. Des milliers d'islamistes ont manifesté hier au Caire et dans d'autres villes d'Egypte en soutien au président Mohamed Morsi, au lendemain d'un immense rassemblement de l'opposition contre le renforcement de ses pouvoirs. Celle-ci a d'ailleurs poursuivi sa mobilisation pour dénoncer également la récente adoption par la commission constituante d'un projet de Constitution accusé de porter atteinte à la liberté religieuse et d'expression. Il s'agit de la crise politique la plus grave depuis l'élection en juin de Mohamed Morsi. Le projet de Constitution, qui doit remplacer la loi fondamentale suspendue après la chute de Hosni Moubarak début 2011, a été remis au président égyptien. Il doit ensuite être soumis à référendum dans les deux semaines. Les manifestants pro-Morsi, dont des membres des Frères musulmans, et des groupes salafistes se sont ainsi rassemblés devant l'université du Caire, où la police antiémeute a été déployée. «Les Frères musulmans soutiennent les décisions du président Morsi», ou «Ensemble pour sauver la révolution», pouvait-on lire sur des banderoles. «Le peuple veut l'application de la loi de Dieu», scandaient des manifestants. Des manifestations pro-Morsi avaient lieu également à Alexandrie et dans la province d'Assiout (centre). Les partisans de M. Morsi estiment que les dernières décisions vont permettre à l'Egypte, qui connaît une difficile transition politique, de se stabiliser et de consolider sa démocratisation. El Baradai appelle à la désobéissance civile Côté opposition, le Front de sauvegarde nationale (FSN), une coalition de partis d'opposition dirigée par Mohamed El Baradei, ancien chef de l'agence nucléaire de l'ONU, et Hamdeen Sabbahi, un ancien candidat à la présidentielle, a appelé les Egyptiens à rejeter le décret et demander l'annulation du projet de Constitution. Il souligne dans un communiqué le droit du peuple à «utiliser tout moyen pacifique pour protester, dont la grève générale et la désobéissance civile». Des dizaines de milliers d'anti-Morsi avaient manifesté vendredi soir place Tahrir alors que d'autres rassemblements avaient eu lieu dans de nombreuses autres villes, notamment à Alexandrie, où des heurts ont opposé pro et anti-Morsi. Les positions exprimées par les uns et les autres montrent que les divisions entre la mouvance islamiste d'une part et les groupes laïques, libéraux et chrétiens de l'autre sont des plus profondes. Après des mois de blocage, le projet de Constitution a été, rappelle-t-on, adopté en quelques heures entre jeudi et vendredi par la commission constituante. L'opposition avait boycotté les travaux de cette instance, l'accusant de vouloir faire la part belle au vu des islamistes. Comme dans l'ancienne Constitution, le projet fait des «principes de la charia» la «source principale de la législation», une formulation assez consensuelle en Egypte. Mais il ajoute une nouvelle disposition selon laquelle les principes de la charia doivent être interprétés selon la doctrine sunnite, ses détracteurs y voyant une possibilité de renforcer la place de la loi islamique, en particulier dans ses interprétations les plus rigoristes. En concentrant entre ses mains une bonne partie des pouvoirs (exécutifs, législatifs et judiciaires) et en tentant de faire adopter une Constitution «islamisante» à la va-vite, le président Morsi a sans aucun doute joué gros. Et il a visiblement perdu. Et ce n'est pas les Frères musulmans et les salafistes qui y changeront quelque chose. Au contraire, Mohamed Morsi a réussi l'exploit difficile d'unir le camp libéral, jusque-là atone et divisé, de se mettre à dos la presse et la justice et de ressusciter une dynamique révolutionnaire qui pourrait déboucher sur une grève générale. La perte symbolique par les islamistes de la place Tahrir, réinvestie par les révolutionnaires de la première heure, est un symbole. Il est toujours temps, pour M. Morsi, d'éviter l'escalade en ne continuant pas à jeter ses partisans dans la rue. Car à terme, cela pourrait provoquer des heurts sanglants. Il est évident que l'Egypte a tout intérêt à éviter un tel scénario.