Un mois après la visite de Abdelmalek Sellal à Ouargla, le Comité de défense des droits des chômeurs (CDDC) continue de mener des actions de protestation et se bat pour éviter l'éclatement du mouvement. Cela fait plus de dix ans que les habitants de Ouargla attendaient cette visite. La dernière d'un chef de gouvernement remonte… à 2003, à l'époque d'Ali Benflis. Alors, quand le Premier ministre Abdelmalek Sellal a décidé, pour son premier grand déplacement, de venir sur place, beaucoup y ont vu la volonté de l'Etat de rappeler son attachement à une région où la population dénonce depuis des années sa marginalisation. Il y avait urgence, car certaines voix appelaient ouvertement à la dissidence. Des graffitis tagués sur les murs de la ville demandant l'autonomie du Sud ont même fait leur apparition. «Le sentiment d'être abandonnés et méprisés par les autorités nationales est très fort ici, explique Abdennour, ancien journaliste. Les gens sont persuadés qu'on les considère comme des Algériens de seconde zone. C'est pour cela que des voix, pour le moment peu nombreuses au sein de la population, ont demandé l'autonomie du Sud et que le mouvement de protestation du CDDC, qui dure depuis 2004, trouve un écho favorable auprès des jeunes.» En démineur, le Premier ministre était venu avec les poches pleines de promesses. Flanqué des plus importants ministres de son équipe, il avait organisé un mini-conseil interministériel en présence de représentants de la société civile triés sur le volet, excluant ceux du CDDC, jugés trop intransigeants. La réunion devait permettre de trouver des solutions raisonnables au problème du chômage dans une région qui regorge de pétrole. «Le gouvernement a compris que ce qui se passait ici pouvait devenir explosif, analyse un cadre de la wilaya sous le couvert de l'anonymat. Il s'est décidé enfin à faire profiter la population de la région des richesses du pays, mais cela va prendre du temps. De plus, il s'est rendu compte qu'il lui fallait repenser toute sa politique de formation que dispensent les centres de formation professionnelle.» Première décision concrète de ce déplacement ministériel : une rencontre à Laghouat est prévue en décembre entre les walis de Laghouat et de Ouargla, avec les membres du CDDC. «Pas dupes» Pour l'heure, les promesses de Abdelmalek Sellal ont laissé de marbre les membres du comité de défense des droits des chômeurs, persuadés qu'elles ne seront pas tenues. «On est habitués aux promesses sans lendemain, explique Tahar Belabès, membre fondateur et porte-parole du CDDC. Les belles paroles de Sellal, c'est de la poudre aux yeux pour calmer le malaise ambiant dans la wilaya. Nous avons appris avec le temps que les acquis ne nous seront pas offerts, mais arrachés par la mobilisation et la contestation.» Apparu en 2004, le Comité de chômeurs a rapidement fédéré les sans-emploi de la région et organisé des actions contre les organismes de l'Etat, accusés de «corruption». Ils revendiquent des quotas d'embauche dans le secteur pétrolier. Ce matin, ils ont décidé d'investir la wilaya. Par petits groupes, ils arrivent et prennent possession du hall d'entrée. Ils sont une trentaine et vont rapidement transformer le lieu en tribune politique sous les regards bienveillants des personnes présentes et ceux plus réprobateurs de policiers appelés en nombre pour sécuriser l'endroit. A la veille du scrutin pour les élections locales, les chômeurs mettent la pression sur les autorités, qui craignent par-dessus tout des actions de protestation le jour du vote. «Si on n'est pas reçus, avertit Taher Belabès, on va perturber le scrutin. Certains partis politiques nous ont approchés. Ils nous ont fait des promesses et ont utilisé nos revendications durant leurs campagnes. Malgré cela, on a refusé toute forme de récupération.» Les protestataires demandent audience au wali, Nacer Maâskri. Les membres du CDDC ne le verront pas, mais seront reçus pour la première fois et individuellement par son chef de cabinet, Mohamed Lakhdar Fouatih. Ubuesque La rencontre n'aura pas lieu dans son bureau, mais dans une pièce vide, sans mobilier, à l'exception d'un bureau et de deux chaises et en présence de deux policiers. Pendant une heure, le face-à-face va tourner à un dialogue de sourds entre des chômeurs de longue durée qui réclament du travail et dénoncent les agissements d'une administration coupable à leurs yeux de tous les maux, et un responsable mal à l'aise, qui calme son désarroi en fumant cigarette sur cigarette. Seul sur le bureau est posé un agenda dans lequel sont consignées les récriminations et revendications des demandeurs d'emploi. «C'est notre lot quotidien depuis 2010, raconte le porte-parole du mouvement. Pratiquement tous les jours, nous menons des actions de protestation. Il est important de maintenir la pression sur les responsables et ne pas nous laisser berner par les promesses qu'a faites le Premier ministre Sellal, lors de sa visite dans la wilaya.» Le leader du mouvement de contestation, après la visite et la série d'annonces qui ont été faites, craint l'essoufflement du mouvement de protestation. Celui qui avait en 2010 fait une tentative de suicide sur le toit de l'agence pour l'emploi, l'ANEM, en compagnie d'un autre membre du Comité, ne veut pas voir le mouvement pour lequel il a consacré toute son énergie disparaître sans contrepartie. Au lendemain de la visite gouvernementale, le Comité des chômeurs a organisé de nouvelles actions de protestation pour prendre la température et jauger la mobilisation des militants. «Le gouvernement a fait des promesses qui pouvaient mettre un terme au fonctionnement du CDDCl, estime Abderrahmane, un ancien confrère. Le langage de contrition tenu par le Premier ministre n'a pas laissé insensibles certains jeunes demandeurs d'emploi qui commencent à douter de l'efficacité des actions entreprises.» Une analyse réfutée par Yacine Benghrina, 24 ans et membre actif du Comité. Monolingue Il estime que les jeunes ne sont pas dupes et n'oublient pas les engagements pris par le président Bouteflika, lors de la présidentielle de 2004 qui n'ont «jamais été tenus». «Bouteflika s'était engagé, lors d'un meeting à Ouargla, à mettre au pas les compagnies pétrolières et à régler nos problèmes d'emploi dans la région, rappelle-t-il. Huit ans plus tard, les problèmes sont toujours là et les compagnies pétrolières toujours aussi puissantes.» Avec son diplôme de soudeur, Rabah était persuadé de décrocher un emploi à Sonatrach. Il sera recalé lors du test effectué à Hassi Messaoud. La formation suivie n'était pas conforme aux normes appliquées par l'entreprise pétrolière. «Pendant des années, la quinzaine de centres de formation professionnelle de la région ont délivré des diplômes qui ne sont pas aux normes appliquées par les compagnies pétrolières, admet un responsable de l'Agence pour l'emploi. C'est pourquoi le plus souvent, les 159 multinationales de Hassi Messaoud font appel à des diplômés des autres régions. En plus, ces jeunes sont monolingues. Comment voulez-vous travailler dans une multinationale quand vous ne parlez pas anglais ni même français ?» Pour remédier au problème, Sonatrach s'est engagée à créer un centre de formation au sein du site qui appartenait à une société nationale. Problème : le site choisi par l'entreprise doit être entièrement reconstruit, car non conforme à sa nouvelle mission. Les travaux devant durer trois ans, l'entreprise pétrolière a été contrainte à recourir à des centres professionnels existant. «Les jeunes de Ouargla ne profiteront pas de ces formations, prédit Abdelkader Mahdjoubi, 26 ans, au chômage malgré un master en production et techniques de puits. Ils vont en faire profiter les jeunes du Nord. Nous, nous sommes condamnés à rester sur le bord de la route.» Accusations En privé, certains responsables de la wilaya accusent les demandeurs d'emploi de refuser toutes les offres qui leur sont proposées, et de pratiquer le chantage pour être engagés par Sonatrach. «A Laghouat, ville située à 200 km de Ouargla, l'hôpital que construisent les Chinois est à l'arrêt, car l'entreprise ne trouve pas d'ouvriesr locaux, raconte un responsable de la wilaya. Les jeunes à qui nous avons proposé les emplois ont trouvé que ce n'était pas assez bien rémunéré. Ils ne veulent pas bosser pour 18 000 DA, ils veulent le salaire de 40 000 DA, que verse Sonatrach.» Pour Abdelhak Ghezal, conducteur d'engin au chômage, les accusations de l'administration sont sans fondement. Elles cachent en réalité une volonté de discréditer le mouvement de protestation auprès de l'opinion publique. «Le discours que les responsables locaux tiennent à notre encontre est faux, juge-t-il. Personne ici ne veut bosser pour Sonatrach, qui n'offre que des contrats en CDD de trois mois. A quoi bon chercher travailler pour une entreprise pour se retrouver ensuite au chômage ?»