Grande figure de l'opposition du temps de Moubarak, le juge Yahia Al Gamal craint que son pays sombre dans l'inconnu en raison de l'attitude du président Morsi. Il décrit un pays divisé : les Frères musulmans et le reste du peuple égyptien qui rejette au prix du sang «les dérives du nouveau pouvoir». - L'Egypte franchit un cap dangereux avec des affrontements d'une rare violence, causant la mort de manifestants. La situation risque-t-elle de s'aggraver ?
Le pays traverse un moment d'une extrême gravité. Le sang des valeurs révolutionnaires, qui ont réussi à faire chuter le tyran Moubarak au cours de la révolution du 25 janvier 2011, a coulé encore. Les milices des Frères musulmans ont commis l'irréparable en s'attaquant à des manifestants pacifiques, femmes et hommes. Elles ont enlevé et torturé des protestataires. Les décisions du président Mohamed Morsi ont envenimé la situation. Le président Morsi a renié tous les engagements qu'il avait pris pendant la campagne présidentielle. En six mois, il a réussi à diviser le pays. D'un côté les Frères musulmans et de l'autre le reste du peuple égyptien qui rejette les dérives autoritaires du pouvoir. Il est apparu comme le chef d'un clan. Le pays vit une tension dangereuse et il est exposé à un péril réel.
- Le président Morsi a appelé à un dialogue national pour aujourd'hui, alors que les forces révolutionnaires et toute l'opposition rejettent l'appel, pourquoi ?
Le président Morsi n'a pas appelé au dialogue. C'est de pure forme. Il feint d'ignorer la crise et ses causes. Après son silence incompréhensible alors que le pays brûlait, il sort de son mutisme pour s'adresser au peuple dans un discours qui n'est pas à la hauteur de la gravité de la situation. Un discours qui ne diffère pas de celui de Moubarak. L'opposition démocratique, des nationalistes, des libéraux, des partis de gauche et toutes les forces révolutionnaires rejettent «l'appel» de Morsi, et ils ont raison. A quoi sert-il de dialoguer, alors que le président campe sur ses positions ? Les Egyptiens en majorité exigent l'annulation de la déclaration constitutionnelle qui octroie au Président des pouvoirs hors de portée de la justice. Plus grave encore, Morsi s'entête à organiser le référendum dans une semaine. C'est une absurdité.
- Justement, c'est la déclaration constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres. Se base-t-elle sur un fondement juridique ou constitutionnel ?
En aucun cas. Cette déclaration constitue une grave atteinte à la justice et menace ses fondements. Elle vise à soumettre le pouvoir judiciaire. C'est une remise en cause des acquis de la révolution. Morsi veut s'octroyer des pouvoirs absolus. Une dérive dictatoriale. Mais il ne savait pas que les Egyptiens, à leur tête les juges, sont vigilants et qu'ils ne sont pas résignés.
- Comment voyez-vous la tenue du référendum sur la Constitution prévu pour le 15 décembre, alors que le pays est en proie à une crise profonde ?
S'obstiner à organiser un référendum sur la Constitution c'est courir le risque de plonger le pays dans l'inconnu. Le pays est sur un brasier. Comme Moubarak, Mohamed Morsi est aveuglé par le pouvoir. Il est quasi impossible de tenir ce référendum à moins que Morsi cherche un affrontement aux conséquences incalculables. Mais ce qui est encore plus dangereux pour le pays, c'est de vouloir imposer une Constitution qui a été rédigée dans des conditions très discutables. En réalité, ce n'est pas une Constitution. C'est un texte qui a été bâclé dans l'urgence sur instruction du Président dans le seul but est de prendre de court le mouvement de contestation. C'est une grande supercherie. Cela dénote de la légèreté avec laquelle le pouvoir actuel traite des questions fondamentales qui engagent le pays sur des décennies. Morsi n'a d'autre choix que d'annuler la déclaration constitutionnelle et le référendum, s'il ne veut pas vivre le même scénario que celui de Moubarak.
- Face à cette situation, l'opposition organisée au sein du Front de sauvegarde nationale est-elle capable de barrer la route aux dérives autoritaires du pouvoir ?
Il est évident que les Frères musulmans ont totalement échoué à réaliser les objectifs de la révolution. La situation que traverse le pays, aujourd'hui, a poussé les forces démocratiques à s'unir, à s'organiser et à prendre sérieusement les choses en main. A charge à elle d'ouvrir des perspectives politiques sérieuses à cette insurrection. Le pays est en train de vivre un souffle révolutionnaire.