Dans le cadre de la célébration du 50e anniversaire du recouvrement de l'indépendance de l'Algérie, le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Créad) a organisé les 8 et 9 décembre à Alger un intéressant colloque ayant pour thème «Algérie : 50 ans de développement : Etat, économie et société», à l'occasion duquel tout un éventail de questions se rapportant à la nature de la gouvernance du pays et certaines conséquences qui éloignent chaque année un peu plus l'Algérie de la trajectoire vers l'émergence. Des économistes, des sociologues et des juristes de renom à l'instar des professeurs Abdelatif Benachenhou, Haartmut Elsenhans, Houari Addi, Aïssa Kadri, Nacer Djabi et Ahmed Mahiou, pour ne citer que ceux-là, se sont succédé à la tribune pour dresser, chacun dans son domaine, un état des lieux et autant que possible indiquer des perspectives de sortie de crise. C'est la conférence sur les dangers de la désertification industrielle du professeur Abdelatif Benachenhou qui a sans conteste marqué le plus les esprits, notamment quand il nous apprend, chiffres à l'appui, le recul dramatique de l'emploi salarié (15%) affectant surtout l'embauche des femmes, la menace sur la modernité et l'absence de volonté de développer l'investissement productif pour le quel sont consacrés à peine 2% du PIB algérien. Même si cela n'a pas fait l'unanimité des participants au colloque, le professeur Benachenhou a proposé de puiser dans le montant faramineux des transferts sociaux (près de 7% du PIB) une part à consacrer à l'investissement productif. Certains participants ont effectivement recommandé de chercher les ressources nécessaires dans le fonds de régulation, les placements à l'étranger et autres niches fiscales oisives, plutôt que dans les transferts sociaux qui permettent aux couches sociales les plus pauvres d'avoir accès à certains produits et services de première nécessité. Réduire ces transferts revient effectivement à exposer une nouvelle fois le pays aux risques de graves troubles sociaux dont les Algériens ont déjà trop souffert. N'empêche que le problème évoqué par l'orateur est d'une importance capital tant les enjeux de création d'emplois et de richesses sont primordiaux pour un pays qui n'arrête pas de perdre du terrain en matière d'investissements productifs et qui doit impérativement faire face à une arrivée massive de demandeurs d'emploi dans les dix années à venir. C'est pourquoi il a recommandé d'ouvrir le chantier de l'investissement productif sans tarder, car il y a vraiment urgence à le faire. En bon connaisseur de l'économie algérienne, l'économiste allemand Haartmunt Elsenhans voit dans l'absence de compétitivité des entreprises et dans le taux de change du dinar qui ne reflète pas l'état réel de notre économie, les principales raisons du déclin de l'industrie algérienne. La dévaluation du dinar qu'il propose pour donner un surcroît de compétitivité aux produits algériens n'a, elle aussi, pas l'unanimité des participants qui craignent que cette nouvelle dévaluation, aussi justifiée soit-elle, ne provoque des troubles sociaux qui ne feraient qu'aggraver le problème et mettre à nouveau en péril la cohésion sociale. Fidèle à ses idées, l'économiste et sociologue Houari Addi voit dans le système politique en place, totalement coupé de la société et obsédé par son maintien éternel au pouvoir, l'une des causes fondamentales de l'échec de l'économie algérienne. Ceux qui ont le pouvoir ne gèrent pas et ceux qui gèrent n'ont pas le pouvoir et ce n'est évidemment de cette manière que les tenants du pouvoir et les chefs d'entreprise réussiront à sortir notre économie du marasme dans lequel ce mode de gouvernance qui perdure depuis l'indépendance du pays, l'a fourvoyé. Les sociologues Aïssa Kadri et Nacer Djabi ont, quant à eux, mis le doigt sur les tares du système éducatif en total déphasage avec les besoins de l'économie et les aspirations de la société algérienne, parmi lesquelles, la qualité de l'enseignement tirée vers le bas par une politique abusive de massification, la transmission de valeurs censées maintenir la cohésion sociale en préservant le lien entre les générations qui malheureusement se perd faute d'une sérieuse prise en charge. Le professeur émérite en droit Ahmed Mahiou a parfaitement décrit les ravages causés à l'économie et, plus largement encore, à la société algérienne dans son ensemble, par le mode de gestion rentier et bureaucratique qui prévaut depuis la fondation de l'Etat algérien en s'aggravant encore davantage durant ces vingt dernières années. La bureaucratie qui prévaut en Algérie a été héritée de la France réputée centralisatrice et jacobine, mais contrairement à l'Algérie cette dernière a considérablement amélioré les choses au cours de ces dernières années. C'est cette bureaucratie étouffante qui a eu raison de l'investissement productif pour faire de l'Algérie un pays qui ne produit pratiquement plus rien et satisfait l'essentiel de ses besoins au moyen des importations. Il faut, recommande-t-il, que «l'Algérien cesse d'être un tube digestif et fasse travailler davantage ses muscles», a-t-il affirmé quelque peu amer. Il corrobore ainsi la recommandation du professeur Abdelatif Benachenhou sur l'urgence d'entamer sans tarder le chantier de la relance de l'investissement productif. Pas moins de 60 intéressantes analyses portant sur différentes facettes de l'Etat, l'économie et la société ont été portées à la connaissance des nombreux participants au colloque à la faveur des conférences et ateliers qui ont suscité d'intéressants débats.