Après quelques semaines de retard dû à une surcharge de l'imprimerie de l'éditeur (Casbah-Editions), le nouvel ouvrage de notre collègue Nordine Grim, Entrepreneurs, Pouvoir et Société en Algérie est enfin disponible dans les librairies. Très attendu par les milieux universitaires, les chefs d'entreprise, les cadres des grandes institutions publiques, les organisations patronales, les syndicats et les missions économiques des ambassades, ce quatrième ouvrage traite de la problématique centrale des relations pour le moins ambiguës qu'entretiennent, de l'indépendance à ce jour, les autorités politiques et la société algérienne avec les entrepreneurs aussi bien publics que privés. Qu'ils appartiennent au secteur public ou au secteur privé, les chefs d'entreprise n'ont, en effet, jamais fait bon ménage aussi bien avec les autorités politiques en place qui les ont très souvent réprimés, qu'avec la société qui s'en est toujours méfiés et parfois même diabolisés. Si les entrepreneurs publics qui ont souvent fait les frais de ces malveillances à coups de limogeages et parfois même d'emprisonnements ne dérogent pas à cette règle, ce sont surtout les entrepreneurs privés qui payeront le plus lourd tribut à la perception négative de l'entrepreneuriat. La marginalisation, les fréquents procès d'intention, les mises sous la coupe forcée de certains cercles influents du pouvoir, le chantage à l'octroi de commandes publiques, les redressements fiscaux et les anathèmes sournoisement distillés pour ternir leur image de marque constituent aujourd'hui encore de redoutables instruments de mise au pas des entrepreneurs algériens. En dépit de toutes les actions entreprises par les pouvoirs publics à l'effet d'instaurer une fructueuse et cordiale entente entre les entrepreneurs, le pouvoir politique et la société algérienne, la cohabitation entre ces trois entités reste aujourd'hui encore très problématique. Nordine Grim montre à quel point l'Algérie a pâti de ce stupide clivage entre privé et public qui n'a, en définitive, servi ni l'un ni l'autre, tous deux s'en trouvant au contraire fortement affaiblis. L'auteur, qui suit la scène économique algérienne depuis 1990 en tant que cadre supérieur de grandes institutions étatiques (ministère, Fonds de participation et Holdings publics) et journaliste au quotidien El Watan, décrit avec force détails les mesures multiformes engagées par les pouvoirs publics depuis la promulgation de la Constitution de 1989 pour faire admettre l'utilité de l'entrepreneuriat privé et sa complémentarité avec le secteur public, tous deux devant être au service du développement économique et social du pays. Poussée par le vent inexorable de la mondialisation, la démographie des entreprises, notamment privées, connaît en dépit de toutes les difficultés un essor sans précédent. Plus 600 000 sociétés parmi lesquelles de nombreuses entreprises appartenant à des femmes ont, en effet, été créées au cours de ces 20 dernières années. Un effort quantitatif gigantesque qui a malheureusement beaucoup pâti au plan qualitatif en raison du climat des affaires délétère et peu propice aux performances productives, dans lequel toutes ces entreprises sont contraintes d'évoluer. Intéressante à plus un titre, la présentation du président du Groupe Gofast-Aigle Azur, Arezki Idjerouidène, montre à l'évidence que l'échec entrepreneurial en Algérie n'est pas dû à une prétendue tare congénitale inhérente aux algériens, mais à l'insuffisance, voire même l'absence totale de catalyseurs de l'entrepreneuriat que sont, à titre d'exemple, la liberté d'entreprendre, la stabilité juridique et un droit des affaires rigoureux et à l'abri des interférences politico-administratives. Il en veut pour preuve la capacité des algériens à réussir là où ils émigrent, notamment lorsque le pays d'accueil dispose d'un environnement juridique et institutionnel favorable. Ce n'est pas un hasard, affirme-t-il, si des compatriotes émigrés qui ne sont jamais parvenus à monter la moindre affaire dans leur pays d'origine ont réussi à créer plus de 100 000 entreprises uniquement en France. La préface de Boualem Aliouat, professeur d'économie à l'Université de Nice est, quant à elle, un poignant cri du cœur adressé aux pouvoirs publics et à la société algérienne, qui ont tout à perdre du rejet des entrepreneurs qui a, comme on peut le constater, considérablement amoindri la production de richesses et d'emplois, mais aussi et surtout beaucoup réduit l'aptitude du pays à assurer sa propre subsistance et le développement de son économie par ses propres moyens. En parfait connaisseur des rouages de l'économie algérienne, le professeur Boualem Aliouat dresse un constat sévère, mais néanmoins réaliste de l'état des lieux peu reluisant de l'entrepreneuriat en Algérie qu'il décrit comme un véritable cas d'école. Intéressant à plus d'un titre Entrepreneurs, Pouvoir et société en Algérie est recommandé à un large éventail de lecteurs, parmi lesquels les entrepreneurs, les autorités politico-administratives et le plus large public (société) qui constituent l'objet même de l'ouvrage.