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Hommage à Abdelkader Mimouni : un pionnier de l'édition moderne en Algérie
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Publié dans El Watan le 08 - 01 - 2013

à Alger, beaucoup de gens flânant en faisant du lèche-vitrine situent bien la librairie En Nahda, située dans la très grouillante rue Larbi Ben M'hidi.
Mais, qui parmi eux connaît l'histoire de la maison qui se confond avec la Société des éditions En Nahda et surtout avec celle d'un homme : Abdelkader Mimouni, son fondateur ?
Qui était Abdelkader Mimouni ?
Ce nom ne dit rien ou presque, excepté pour quelques initiés, parents ou amis. Pour le commun des Algériens, il pourrait s'agir d'un vague untel, de monsieur Tartempion… Les rares témoignages, des bribes ou des évocations qui le citent au passage ne l'ont toujours pas tiré de l'anonymat (1).
L'absence affirmée d'une littérature biographique dans notre pays explique pourquoi tant d'hommes et tant de mérites restent éludés ou exclus de la scène culturelle du pays. En outre, le peu d'écrits sur notre histoire redondante et inactuelle menace le travail de mémoire et les souvenances.
La vie de Abdelkader Mimouni fut, certes, courte (1917-1961). Mort à l'âge de 44 ans, la maturité à peine commencée, mais une vie dense, utile et pleine d'activités et d'œuvres. Issu d'une famille de commerçants de Laghouat, Mimouni respirait la dynamique des gens entreprenants de notre Sud. Un trait que corroborent les quelques photos disponibles de lui et qui le montrent visage radieux, souriant, drapé dans un impeccable complet cravate, mallette empoignée et des allures d'un homme pressé et affairé.
Cet affairement débordant lui élargissait les connaissances et renforçait l'audience. Acteur sur plusieurs fronts à la fois, il était l'ami d'intellectuels, toutes tendances confondues, de nationalistes aux différentes obédiences, des oulémas, de sportifs, d'artistes, de Français honnêtes et justes. Universitaire bilingue, il maniait le français, langue des Algériens par la force de la loi du colonialisme, autant que l'arabe, langue étrangère ou presque pour les Algériens de sa génération, et dont il en fut diplômé de l'Université d'Alger. A beaucoup d'égards, on le placerait volontiers parmi les intellectuels algériens de sa génération. Il a appartenu à cette lignée étincelante de l'orbite où des noms illustres gravitaient, comme cheikh Bachir El Ibrahimi, Dr Abdelaziz Khaldi, Malek Bennabi, Mohamed Chérif Sahli, Ali El Hammami, Himoud Brahimi, Kateb Yacine…
Bennabi, minutieux et peu tendre envers les minus-habens et les pseudo-intellectuels, desquels il avait inscrit un néologisme au crédit : les «intellectomanes», le cite dans ses mémoires : «Il y eut les journées à la villa Sidi Madani, organisées par le Gouverneur général, l'homme qui voulait placer le problème algérien sur le plan culturel et spirituel et qui invita des intellectuels français, comme les Parot, les Camus, les Brice Parrain… Khaldi, Mimouni, Si Omar Racim et moi, nous étions des invités du côté algérien(2).»
Son engagement politique, qui avait commencé aux côtés de Mohamed Bouras, premier chef des Scouts musulmans algériens (SMA), le mènera aux duretés de la persécution et aux multiples incarcérations tout au long des années de répressions barbares pratiquées par l'oppresseur au lendemain des événements du 8 Mai 1945.
Une place pour un précurseur
Dans la vie des hommes, des actions, des gestes, des exploits, des sacrifices ou des prouesses offrent l'occasion d'ascensionner les cîmes. En créant les éditions En Nahda dans le sillage des massacres de Mai 1945, Mimouni gagna cette place reconnue aux précurseurs, toujours salués et leurs œuvres louées. A ce titre, l'édition moderne en Algérie compte Abdelakader Mimouni parmi ses pionniers. En soi, la création de la maison d'édition En Nahda El Jazaïria (Renaissance algérienne) est un fait marquant dans l'histoire culturelle du pays. Abordons le contexte de la création de la maison et, comme le suggérait Confucius, interrogeons les circonstances.
Editer et diffuser des livres d'écrivains algériens nationalistes, d'une manière indépendante de la volonté du colonialisme, de son emprise et de son imprimatur, est une œuvre hardie dans cette nouvelle Algérie qui montrait des signes de refus, de la résignation et de la passivité depuis le mois de mai 1945. L'événement signe les débuts de l'esquisse de nouvelles tendances chez une génération d'Algériens ayant saisi l'importance du combat intellectuel contre l'ennemi. Fruit d'une alliance de personnalités connues, une synthèse de courants marquants, un alliage de convictions profondes, un assemblage d'idées nationalistes et une communauté d'objectifs déterminés, c'est également un premier jalon dans les tentatives d'un renouveau culturel du pays. Les éditions En Nahda avaient comblé un grand vide.
Les témoignages sur la création de la société En Nahda sont rares. Revenons à Bennabi, dont plusieurs livres ont été édités et diffusés par Mimouni et qui résuma l'événement : «Je fis également la connaissance de Mimouni Abdelkader. Il était en train de créer une société d'édition par actions, qui devait voir bientôt le jour sous le nom des Editions En Nahda.» Les Oulémas y souscrirent la moitié des actions. Des particuliers y souscrirent aussi. Mimouni y mit sa part. Et pour cette part, il décida de garder la direction de l'affaire. Khaldi, Salah Ben Saï, qui venait de rentrer du Soudan pour une élection à Batna, et moi-même nous décidâmes d'y mettre nos plumes. Je fus naturellement la caution de la partie «plume», m'engageant à fournir à la société naissante la matière écrite.
Le Dr Khaldi versa tout de suite une avance : «Le problème algérien devant la conscience démocratique» qui fut, en effet, le premier-né de la Nahda. Mimouni, de son côté, s'engagea, si la société prenait son essor, d'aider matériellement ceux qui la feraient vivre intellectuellement. J'étais le principal intéressé par cet engagement qui mourut au berceau, parce que, dès ses premiers pas, En Nahda s'était convertie en librairie. La loi du commerce en avait décidé ainsi. En cette matière, Abdelkader Mimouni n'a jamais perdu le nord : il voyait juste et n'était pas prêt à lésiner avec les réalités pratiques.
Pour le moment toutefois, nous étions tous dans l'enthousiasme du néophyte. Nous multiplions nos projets à découvert(3). Il est bon de reproduire aussi un texte de son frère Ahmida Mimouni, sur la genèse de la société En Nahda : «Abdelkader envisage, dès sa sortie de prison, la création d'une maison d'édition indépendante pour soulager ses amis intellectuels des appréhensions matérielles qui les décourageaient d'écrire. Il s'en ouvre notamment au cheikh Bachir El Ibrahimi qui l'encourage vivement. Avec son frère et compagnon Hadroug, ses amis Tahar Tedjini, Omar Lagha et Mahfoudh Kaddache, (tous fondateurs autour de Mohammed Bouras des SMA), avec Bachir El Ibrahimi, agissant en son nom personnel plutôt qu'au nom de l'Association des oulémas musulmans algériens qu'il présidait depuis la mort de Abdelhamid Ben Badis, et avec un proche, Bensalah Lachekhem, il fonde en 1946, sous la forme d'une Sarl au capital de 400 000 francs de l'époque, les éditions algériennes En Nahda».
Un caractère déterminant
Quelques autres buts que l'on puisse évoquer, parlant du projet de Mimouni, son caractère déterminant et son dessein noble ne peuvent être escamotés dans un contexte culturel où la suprématie de l'ennemi était désespérante. Un intellectuel avisé comme le Dr Abdelaziz Khaldi avait, à l'époque, dénoncé les procédés du colonialisme visant à occulter l'effort culturel algérien entrepris depuis la fin de la guerre en 1945. Khaldi dénonça une «cause commune entre les éditeurs français et les colonialistes» et avec son franc-parler connu, désigna un coupable : Gabriel Audiscio(4), à l'époque directeur du service algérien d'information et de presse, rattaché au Gouvernement général de l'Algérie. Audiscio écartait les auteurs algériens de souche pour mettre en valeur les écrivains d'origine européenne. Le colonisé est un sous-homme dans la perception du colonialisme.
Cette prise de conscience, ce sursaut sont, dans la dénomination même, pleins de sens de la maison d'édition. L'action de l'éminent Abdelhamid Ben Badis entreprise sous le signe d'En Nahda et El Baath (résurrection), le livre de Bennabi sur les Conditions de la renaissance algérienne, sont autant de signes qui montrent que l'élite algérienne n'était pas coupée des discours ambiants dans l'espace arabo-musulman depuis les appels au changement lancés par Djamel Eddine El Afghani et de Mohammed Abdou.
Le livre nourrit l'esprit comme le pain nourrit le corps. Comment concevoir la présence de l'un en l'absence de l'autre dans une entité saine, efficace, utile et pouvant faire face aux défis. «La véritable école de commandement est dans la culture générale», disait Charles de Gaulle, l'homme d'Etat qui n'a pris sa retraite que pour donner sa version de l'histoire à travers ses mémoires auxquelles il tenait tant. Le propre d'un éditeur est justement de ravitailler en nourriture spirituelle. Saluons chez Si Abdelkader un appréciable niveau intellectuel et une méthode de travail moderne.
Sa culture lui permettait de dégoter de bons titres à éditer ou à distribuer par En Nahda, devenue, entre-temps, une librairie. Il suffit de voir son catalogue pour s'en convaincre. De ses correspondances avec les écrivains algériens dont il fut l'éditeur, on notera qu'il s'était vite imprégné des règles de son noble métier. On signalera ainsi que dans les étapes ultimes de la confection d'un livre, Mimouni n'oubliait jamais d'intégrer la publicité, élément-clé dans la relation entre le livre et le lecteur. «Un savant ne devient un intellectuel, disait Jean-Paul Sartre, qu'à partir du moment où il quitte son laboratoire pour élargir son audience au-delà de ses collègues.»
De nos jours, à quelques rares exceptions près, nos «éditeurs» ne se donnent pas cette petite peine pourtant si cruciale dans le processus de la confection d'un livre. Les journalistes sont pris en défaut aussi. Comme tant d'intellectuels algériens, Mimouni n'est pas passé à la postérité et reste une curiosité pour les chercheurs avides de l'histoire culturelle de l'Algérie moderne et des amoureux des livres, en général. Il compte parmi les victimes d'un «gredin de contexte», d'une malice des temps et des hommes, d'une panne d'idées, d'un desséchement culturel et d'une «saharisation» de la vie intellectuelle, que le Dr Khaldi avait dénoncés au cours des années 1960.
Renvois :
1- Le «petit» hommage des éditeurs algériens à leur doyen, Abdelkader Mimouni, à l'occasion de la foire du Livre d'Alger en 2003, était d'une modestie telle que son impact fut insignifiant. Le défunt n'avait droit qu'à de rares encarts dans les dizaines de titres de la presse algérienne.
2 - Bennabi : Mémoires d'un témoin du siècle. P. 338.
3 - Bennabi. Op.cité p. 322.
4 - Gabriel Audiscio (1900-1978), romancier, poète et essayiste français. Il fut nommé en 1950. Gabriel Audiscio disait que parmi les grandes vertus de la poésie, il y a «celle de mettre du baume aux plaies de la détresse humaine».


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